Irish travellers - Cabaret de l’exil - par Bartabas et le Théâtre Equestre Zingaro
Chants et musiques celtiques, prouesses acrobatiques et feux de joie.
Pour ce deuxième volet du « Cabaret de l’exil », Bartabas explore l’univers des Irish Travellers, nomades d’origine irlandaise en exil dans leur propre pays. Ce peuple voyageur affirme son identité fondée sur l’amour du cheval et une culture musicale de tradition orale singulière.
Les Travellers irlandais sont une communauté née de la séparation avec les sédentaires au XVII è siècle, minorité ethnique reconnue en 2017, et ignorée. Souvent étameurs, ils sont porteurs d’une tradition artisanale remontant au Moyen Age, la langue est un dialecte dérivé du gaélique moyen.
Les Irish Travellers voyagent par groupes de trois ou quatre familles, sillonnant les routes à cheval ou dans des caravanes tirées par des chevaux. Leur race favorite de cheval est celle des Piebolds, essentiels à leur mode de vie ; les Irish Travellers se rassemblent pour des foires aux chevaux.
Cette communauté cultive une tradition de transmission orale et aime se réunir autour d’un feu pour chanter, se raconter des histoires et se donner des nouvelles des derniers événements. La musique n’est pas seul divertissement mais bien une identité qui se transmet entre générations.
La foire annuelle aux bestiaux est un événement culturel à Killorglin. Le Puck Goat légendaire évoque un bouc sauvage des montagnes, chèvre qui aurait prévenu les habitants des pillages. Pour la foire, un bouc, symbole de fertilité, est choisi, élu roi et fêté trois jours avant d’être relâché.
Pour célébrer ce mode de vie, symbole de liberté et de diversité, Bartabas invite des musiciens repérés et lumineux de la scène folk celtique - Gerry O’Connor au violon, Loïc Blejean à l’uilleann pipes, Ronan Blejean à l’accordéon, Jean-Bernard Mondoli au bodhran et piano -, et Thomas McCarthy, chanteur et conteur de la communauté, qui se joignent à la tribu mi-homme mi-cheval.
Une invitation au voyage pour bienheureux autour d’un verre aux saveurs irlandaises. A l’accueil, un rétameur avec son feu et ses outils de fer travaillant à son établi, cerné par une troupe d’oies.
L’atmosphère installée par Bartabas, chaleureuse et populaire, est tenue avec grâce et rigueur, le temps de la représentation, une proposition artistique insolite à partager - un rêve éveillé pour un public subjugué par la ballade poétique inédite, musicale, équestre, circassienne et théâtrale.
La présence sourde de l’Eglise - sonorité rituelle du tocsin, cloches joyeuses de souvenirs de chapelles perdues dans la campagne -, est une réalité ancestrale esthétique et traditionnelle moquée avec bienveillance, surtout quand le troupeau de petits moutons malicieux présents sur l’arène, mené par le « recteur » du lieu, figure comique, est soudain attiré dans le sens opposé par les clochettes d’un cavalier, mi-homme, mi-cheval, mi-bouc, image symbolique d’un paganisme revendiqué. On a beau lui brandir haut le Livre Saint, rien n’y fait, ce cavalier n’en fait qu’à sa tête.
Une roulotte qu’on brûle sciemment, figure de l’intolérance mal-agissante, illumine la scène, avant que, plus tard, ne tourne le jeu d’un train miniaturisé de petites roulottes. Des images enfantines, des rappels des conflits mémorables, westerns américains avec leurs Indiens pourchassés.
Et entre-temps, les cavaliers et leurs montures, vêtus façon Guerre d’Indépendance irlandaise du début du XX è siècle, portent des tenues sombres strictes - trois pièces et allure élégante -, qu’on soit cavalier ou bien cavalière aux longs cheveux attachés (costumes de Antonio De Jesus).
Les chevaux semblent près de s’envoler dans les airs, tant ils sont élancés et gracieux, à l’image de leurs cavaliers rapides, furtifs, précis et performants, faisant corps avec le cheval monté. Aux cavaliers se mêlent un danseur, un artiste à la corde volante et un artiste force, composant des tableaux insolites dégageant la mesure onirique de l’existence - songes de beauté bienfaisants.
Roulottes et chevaux lancés sur la route, mariage d’humour entre une belle sur son grand cheval blanc et son prétendant sur sa petite mule immaculée, façon Sancho Panza. Un rêve d’oie blanche - au sens propre et non figuré - dont les ailes semblent tirer la mariée vers les hauteurs célestes. Les scènes comiques alternent avec des instants de prouesse physique, animale et humaine, dont le public raffole, tant il est ravi par l’imagerie inventive et le chant profond de Thomas McCarty.
Et l’on croit entendre les vers de Bartabas de l’un de ses poèmes, Travelling Man/ Vagabond sans frontière : « Tu lances ton visage à la pluie/ Et chantes pour apprivoiser les gouttes/ Là-bas sur la lande de bruyère pourpre/ L’arc-en-ciel se prosterne devant toi…Traveller, tes livres n’ont pas de pages/ De Galway à Wicklow, de Cork à Donegal/ Le son des routes est rempli de ta voix. »
Un rêve gracieux de cavaliers émérites - princes et princesses charmants de nos temps brutaux.
Cabaret de l’exil - Irish Travellers, nouvelle création du Théâtre équestre Zingaro, scénographie, conception et mise en scène par Bartabas. Accessoiriste Sébastien Puech, masques Cécile Kretschmar, son Juliette Regnier, lumières Clothilde Hoffmann, Léa Mathé. Du 18 octobre au 31 décembre 2022, mardi, mercredi, vendredi, samedi 19h30, dimanche 17h30, relâche lundi et jeudi. Au Fort d’Aubervilliers - Théâtre équestre Zingaro - 176 avenue Jean Jaurès 93300 - Aubervilliers.
Crédit photo : Hugo Marty