Il y aura la jeunesse d’aimer d’Aragon et Triolet
Un couple mythique dans la lumière de la postérité
Après mal d’années sur scène, sur les écrans et dans les meetings de la gauche, Ariane Ascaride et Didier Bezace se souviennent du passé et du couple mythique des foules communistes, Louis Aragon et Elsa Triolet. Leur prestation ressemble aux récitals d’autrefois, vibrants, classiques et un rien militants, et cela n’y ressemble pas. Ce qui a changé, c’est la conscience que la gauche n’a pas répondu à tous les espoirs et que bien des crimes ont été commis au nom du communisme. Aragon lui-même avait dénoncé de graves erreurs, mais les soirées rouges étaient restées triomphantes. Bezace, qui a choisi les textes et fait la mise en scène, intègre une certaine tristesse, qui exhale des regrets, et un refus de tomber dans l’hagiographie. Il ne gomme pas qu’Aragon, le chantre de la femme et du couple hétérosexuel, a été homosexuel à la fin de sa vie (et peut-être au début). La fin de cette lecture-spectacle évite les certitudes et chante un espoir suspendu, en accord avec le fameux vers : « Il n’y a pas d’amour heureux ». Tout est vue dans la lumière ambivalente de la postérité.
En outre, l’hommage ne porte pas seulement sur Aragon, écrivain immense dont le verbe, ici, coule vers nous en extraits éclatants, venus de recueils de poèmes (les célébrissimes Yeux d’Elsa), de romans et d’articles. Il s’intéresse aussi à Elsa Triolet, auteur qu’on peut considérer comme mineur par rapport à son géant de mari, mais dont il n’est pas négligeable d’entendre des extraits de récits – l’un d’eux, sur la visite d’inspecteurs se trompant de porte pendant l’Occupation, est fort amusant.
Au centre de la scène, derrière l’attirail du son, Ariane Ascaride et Didier Bezace n’ont pas la même attitude. La première se change, se déplace, se fait plébéienne ou déesse (elle est miraculeuse). Le second, en costume noir, bouge moins, reste plus longtemps assis, mais, quand il l’a décidé, se jette à corps perdu dans une interprétation passionnée et musclée (il est d’une grande puissance). Face à Aragon et Triolet, face aux micros si sensibles du XXIe siècle, Bezace et Asacaride, c’est la rencontre de deux souffles, car ils se rejoignent surtout à mezza voce, dans le secret des mots. Tous deux rois de hauts murmures.
Il y aura la jeunesse d’aimer d’après Louis Aragon et Elsa Triolet, mise en scène et montage des textes de Didier Bezace, collaboration à la mise en scène, son et vidéo d’Yssia Loubatière, musique de Bernard Vasseur, lumière de Léo Thévenon, avec Ariane Ascaride et Didier Bezace.
Lucernaire, 21 h, jusqu’au 2 décembre, tél. : 01 45 44 57 34, jusqu’au 2 décembre. (Durée : 1 h 20).
Photo Nathalie Hervieux.