Huis clos de Sartre
Dernière parade après la mort
Drôle de classique du théâtre moderne que Huis clos de Sartre ! C’est à la fois un coup de génie totalement novateur et une pièce fabriquée avec de vieilles ficelles. Contaminé par l’horreur du monde dans lequel il vit, Sartre, en même temps que Camus, aborde dans les terres inédites de l’absurde. Mais l’un et l’autre ne trouvent que, de manière prémonitoire et fugitive, le langage que les Beckett et Ionesco ne vont pas tarder à parler pleinement. Aussi Sartre utilise-t-il des conflits et des dialogues taillés au couteau. L’existentialisme ne sait se séparer de deux vieilles lunes au théâtre, le réalisme et le discours théorique.
On sait qu’il s’agit d’une descente en enfer où plus rien ne ressemble au cadre flamboyant et punitif qu’ont imaginé les religions. Dans une sorte de chambre d’hôtel arrivent après leur mort trois personnages qui ont tous commis une faute grave ou même tué : un journaliste de la plus parfaite lâcheté, une lesbienne perverse et une jeune femme adorable qui a noyé son nouveau-né… « L’enfer, c’est les autres », lâche l’homme quand il comprend que, dans cet au-delà sans dieu, leur damnation consiste à ne plus jamais connaître leur solitude.
La très intéressante mise en scène que reprennent Agathe Alexis et Alain Alexis Barsacq se situe dans la recherche du dénuement extrême et place les personnages dans un dispositif bi-frontal qui évoque une souricière, un lieu sans échappatoire. Hormis les fauteuils d’une esthétique post-surréaliste qui détone un peu, tout balaie le détail inutile et l’image rétro, le contexte du décor bourgeois indiqué par l’auteur. Seul, Claude Régy avait mis en place ce principe d’épure quand il avait monté la pièce à la Comédie-Française. Mais il en avait fait, très bien, une tragédie antique. Ici, les trois destins restent d’aujourd’hui. Agathe Alexis (Inès, la lesbienne), Anne Le Guernec (Estelle, l’infanticide) et Bruno Boulzaguet (Garcin, le journaliste) jouent avec une formidable intensité ce qui serait le dernier ressort, la dernière crédulité ou le dernier mensonge d’une être humain. Quelles vibrations dans cette dernière parade avant la monotonie de l’éternité ! C’est quand même une bonne pièce, Huis clos !
Huis clos de Jean-Paul Sartre, mise en scène d’Agathe Alexis et Alain-Alexis Barsacq, scénographie et costumes de Robin Chemin, réalisations sonores de Jaime Azulay, lumières de Stéphane Deschamps, avec Agathe Alexis, Jaime Azulay (en alterancne avec Grégory Fernandes), Bruno Boulzaguet et Anne Le Guernec.
Atalante, Paris. Tél. : 01 46 06 11 90. Jusqu’au 27 mars. (Durée : 1h20).
Photo Pascal Gély.