Hermione selon Rossini

Rossini a lui aussi donné sa version des amours contrariées d’Hermione et de Pyrrhus. Alberto Zedda vient de nous la faire entendre au Théâtre des Champs-Élysées.

Hermione selon Rossini

ON NE COMPTE PLUS LES OPÉRAS dont l’intrigue repose sur des épisodes qui touchent de près ou de loin à la guerre de Troie, du Ritorno d’Ulisse de Monteverdi aux deux Iphigénie de Gluck, d’Idomeneo de Mozart aux Troyens de Berlioz, de Dido and Aeneas de Purcell à Ulisse de Dallapiccola ou encore King Priam de Tippett. Mais ce moment de la civilisation méditerranéenne a aussi inspiré les hommes de théâtre, et c’est d’après la sublime Andromaque de Racine qu’Andrea Leone Tottola a écrit le livret d’Hermione (orthographiée Ermione en italien) de Rossini. Créé au San Carlo de Naples le 27 mars 1819, cet opéra a connu une longue éclipse avant d’être ressuscité au Festival de Pesaro en 1987, et on sait gré au grand Alberto Zedda de nous l’avoir offert au Théâtre des Champs-Élysées avec les forces de l’Opéra national de Lyon où le même concert avait été donné deux jours plus tôt.

Hermione commence par une ouverture à laquelle se mêle le chœur des prisonniers troyens qui déplorent la cruauté de leur destin : un moment d’étrangeté musicale à l’image de cette partition exigeante qui compte parmi les grandes réussites de Rossini dans le registre sérieux (ce qui ne signifie pas qu’il s’agit là d’un opéra du genre seria). L’ouvrage se poursuit à grands renforts d’airs de plus en plus virtuoses, le premier acte, comme souvent chez Rossini, s’achevant par un grand ensemble avec chœurs qui exprime le chaos, la folie ou, comme ici, la confusion des sentiments.

La tiédeur, voilà l’ennemie

L’intrigue de l’ouvrage est on ne peut plus simple : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui reste fidèle au souvenir d’Hector tué par Achille, le père de Pyrrhus. Par dépit, Hermione va pousser Oreste à tuer Pyrrhus, cependant qu’Andromaque choisira de se suicider.

On écrit par dépit, mais la partition de Rossini n’a que faire de la tiédeur. Ou plutôt, elle exprime avec une violence magnifique tout l’éventail des sentiments qui habitent les personnages. Le rôle-titre, en particulier, est un modèle de bel canto, avec les ornements, les sauts du grave à l’aigu et toute une palette technique et expressive qui en font un rôle redoutable. Face à elle, une voix de mezzo incarne Andromaque, mais le personnage disparaît trop vite au second acte, au terme d’un récitatif qu’on aimerait voir ponctué par un air. Deux ténors complètent la panoplie des voix : Rossini leur a tendu également des pièges qui, déjoués, deviennent de merveilleux moments de musique.

Tempéraments et sentiments

La distribution réunie à l’occasion de ce concert est plus que convaincante à défaut d’être entièrement équilibrée. Le chant d’Angela Meade (Hermione) n’est pas spécialement expressif, mais la chanteuse affronte le rôle sans faux-semblant et franchit les obstacles jusque dans la cabalette « Se a me nemiche ». Le timbre d’Ève-Maud Hubeaux (Andromaque) émeut davantage, de même que son engagement dramatique, cependant que les deux ténors opposent eux aussi leurs tempéraments : Dmitry Korchak produit du son avec vaillance dans le rôle d’Oreste, alors que Michael Spyres multiplie les couleurs, joue de la voix de tête et, au bout du compte, brosse un portrait très nuancé de Pyrrhus.

On apprécie la présence de Patrick Bolleire (Fenicio), on regrette que la voix et l’élégance d’Enea Scala n’aient droit qu’au personnage assez effacé de Pylade, on ne saurait oublier enfin que trois petits rôles sont confiés à de jeunes chanteurs du Studio de l’Opéra national de Lyon.

Au pupitre, l’infatigable Alberto Zedda (né en 1928), rossinien entre tous, emmène avec fougue un orchestre sans grande personnalité, ni dans la couleur d’ensemble, ni dans les solos, tandis que les chœurs préparés par Philip White convainquent davantage. Il faut un chef de cette dimension pour donner du souffle à une partition qui, ainsi dirigée, prend l’allure d’une fresque.

illustration : Andromaque et Pyrrhus par Pierre-Narcisse Guérin (dr)

Rossini : Hermione. Angela Meade (Hermione), Ève-Maud Hubeaux (Andromaque), Michael Spyres (Pyrrhus), Dmitry Korchak (Oreste), Enea Scala (Pylade), Patrick Bolleire (Fenicio), Rocio Perez (Cléone), Josefine Göhmann (Céphise), André Gass (Attalo) ; Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Lyon, dir. Alberto Zedda. Théâtre des Champs-Élysées, 15 novembre 2016.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook