Hamlet de Shakespeare

Histoire d’un blouson noir

Hamlet de Shakespeare

C’est une vision d’Hamlet plutôt inédite que propose Xavier Lemaire : le prince du Danemark paraît en marcel noir, les bras tatoués, tel un méchant loubard de banlieue, un blouson noir comme on disait autrefois. Pour le rôle, Grégori Baquet s’est décoloré et blondi les cheveux, et ricane volontiers comme au café ou dans des affrontements de bandes rivales. A quelle époque est-on d’ailleurs ? Dans un Danemark de bande dessinée, dans un fantastique où la reine porte des cornes de cerf aux épaules ou dans un monde d’aujourd’hui avec les fripes les moins coûteuses et des flingues de garde-chasse ? Il y a même une télévision noir et blanc des années 60 où se reflète la fameuse scène des comédiens – l’un des meilleurs moments de la soirée : les acteurs invités par Hamlet sont plus des rockeurs bas de gamme que des champions de l’art dramatique. Lemaire semble avoir voulu désacraliser la tragédie de Shakespeare (il a écrit une nouvelle traduction avec Camilla Barnes) et retrouver l’esprit d’un théâtre forain qui rejoindrait l’imagerie des baladins bricoleurs du temps de Shakespeare et qui emprunterait aussi à des arts populaires d’à présent comme le rock.
Dans les premières scènes, on n’y croit pas. Tout paraît lourd, et cet Hamlet n’est pas celui de nos mémoires. Mais peu à peu la gratinée sent bon l’oignon et la soupe populaire, et cette version fait divers devient convaincante. Il n’y a presque pas de décor, juste des praticables constitués de marches noires, dont la mise en scène use et abuse (les acteurs montent et descendent les marches en permanence, sans que cela soit toujours utile). A l’intérieur de cette volontaire pauvreté plastique, Grégori Baquet allie l’ironie et la puissance. Ses partenaires, Julie de Laurenti, Pia Chavanis, Manuel Olinger, Philippe Weissert, souvent inattendus, ont du tonus et du répondant. Cet Hamlet des pauvres a sa singularité et sa vérité. Il semble nous dire : les prolos savent jouer Hamlet à leur façon et, tant pis pour les malades du bon goût, c’est à prendre ou à laisser. Nous, on prend.

Hamlet de Shakespeare, traduction et adaptation de Xavier Lemaire, mise en scène de Xavier Lemaire, décor de Caroline Mexme, costumes de Virginie H, lumières de Didier Brun, combats réglés par François Rostain, musique de Frédéric Jaillard, avec Grégori Baquet, Christophe Charrier, Julie de Laurenti, Pia Chavanis, Manuel Olinger, Philippe Weissert, Olivier Denizet, Lauret Muzy, Didier Niverd, Stéphane Ronchewski, Ludovic Thevon.

Théâtre 14, tél. : 01 45 45 49 77 ; jusqu’au 21 avril (texte édité aux Ames libres, durée : 2 h 30).

Photo Laurencine Lot.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter...

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