Au Théâtre-de-la ville Sarah Bernhardt jusqu’au 30 octobre

Figures in Extinction, par le Nederlands Dans Theatre

Deux stars de la scène contemporaine, la chorégraphe Crystal Pite et l’écrivain et metteur en scène Simon McBurney s’associent au Nederlands Dans Theatre pour créer un spectacle sur l’extinction. Nécessaire et prodigieux.

Figures in Extinction, par le Nederlands Dans Theatre

Hors normes et hors catégorie, Figures in extinction l’est à plus d’un titre. Par sa nature d’abord, le spectacle signé de la chorégraphe canadienne Crystal Pite, associée au Nederlands Dans Theater depuis 2000, joint la danse au texte de l’auteur et metteur en scène britannique Simon McBurney pour faire le constat d’un monde en voie d’extinction. Par sa forme ensuite qui donne à la performance dansée un rôle militant dans le débat actuel brûlant sur notre relation au vivant. Par sa durée enfin : plus de deux heures trente, la pièce divisée en trois parties séparées par un entracte avec un texte didactique voire roboratif dit en anglais surtitré en voix off. Ce qui oblige à une gymnastique visuelle incessante entre la scène et les surtitres qui distrait de la danse, d’une vitalité et d’une inventivité inouïes.

Sans décors sinon des fonds de scènes et des éclairages très soignés de Tom Visser, la performance des vingt-trois danseurs de la compagnie néerlandaise est accompagnée d’une bande-son très riche qui mixte citations de musique classique (Requiem de Mozart, Symphonie de Chostakovitch….) et la nouvelle composition d’Owen Belton.

La première partie, intitulée The List, livre une série magnifique et poignante de portraits d’animaux, de plantes et d’éléments naturels (lacs, glaciers) aujourd’hui disparus ou en voie d’extinction. Les danseurs incarnent ces espèces mortes ou en péril, bouquetin des Pyrénées, panthère asiatique, oiseau ou orchidée, non pas en imitant les organismes en question mais en révélant l’endroit du corps humain où on peut en trouver la trace. Ainsi un des formidables danseurs-comédiens porte des prolongements de cornes au bout des bras et exécute une danse d’une beauté et d’une délicatesse saisissantes. De même, le groupe très compact des danseurs qui se démènent comme la horde de caribous saisie dans l’effort collectif pour échapper à la destruction.

Voulant abolir la distance et les frontières qui séparent les humains des animaux, la chorégraphie s’inspire de l’œuvre de l’écrivain et critique d’art britannique John Berger qui se pose la question du pourquoi et du comment on regarde les animaux, et réciproquement. Une façon de voir que l’homme est et doit rester partie intégrante de la nature faute de détruire et l’une et l’autre.

Avatars du capitalisme occidental

Plus cérébrale et discursive, voire bavarde, la deuxième partie s’inspire des travaux du psychiatre et spécialiste des neurosciences Iain McGilchrist et s’intitule But then you come to the humans. Les costumes – pantalons, vestes, chemises – montrent que l’on a affaire ici à des avatars du capitalisme occidental. Les danseurs miment par synchronisation labiale le déni du désastre en cours et la domination de la rationalité destructrice qui aboutit à la perte d’empathie, à l’isolement numérique, au péril de la civilisation.

La cause de la crise que nous traversons et cette déconnexion d’avec nous-mêmes serait à chercher dans la prééminence de l’hémisphère gauche du cerveau – centré sur la rationalité et les tâches à accomplir, tandis que le droit est ouvert à l’interprétation, à l’intuition, à la nouveauté. L’irruption d’un climatosceptique, grotesque et inquiétant, vient appuyer la démonstration. Comme l’inévitable Donald Trump lors d’un G7 qui laisse à Dieu le soin de veiller sur la planète et ses habitants. Pas de doute, le déni est désormais aussi menaçant que l’extinction elle-même.

La trilogie se clôt en un Requiem et élargit la problématique aux grandes énigmes de l’inconnu, en premier lieu la mort. Autour du corps d’une femme dans dans un hôpital, chacun évoque la perte de contact avec les morts, nommés les « éliminés ». L’expérience est à fois cosmique et profondément intime, ponctuée par un des rares solos du spectacle. Epoustouflant.

Figures in extinction, Théâtre de la ville jusqu’au 30 octobre. www.theatredelaville-paris.com
Création : Crystal Pite avec Simon McBurney. Composition musicale originale : Owen Belton. Conception sonore : Benjamin Grant. Lumières : Tom Visser. Scénographie : Jay Gower Taylor, Michael Levine. Concept fond de scène : Jay Gower Taylor en collaboration avec Tom Visser. Costumes : Nancy Bryant. Mise en scène des marionnettes : Toby Sedgwlck. Conception et fabrication des marionnettes : Jochen Lange.
Photos Rahi Rezvani

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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