Ferré, Ferrat, Farré de Jean-Paul Farré
Une soirée « poélitique »
L’allitération que composent les noms de Ferrré et Ferrat a sans doute donné à Jean-Paul Farré l’idée de son nouveau spectacle. Il y rend hommage à ces deux maîtres de la chanson et les rejoint en intégrant ses propres textes, puisque son nom à lui chante les mêmes sonorités : Ferré, Ferrat, Farré ! Alors récital ou moment de théâtre ? Farré emploie le mot de « pièce musicale », terme exact puisqu’une situation théâtrale est mise en place et que le protagoniste ne cesse de faire des commentaires entre les chansons. La situation, la trame, ce sont les préparatifs d’un artiste qui vient mettre au point les arguments et interventions de sa campagne pour l’élection du président de la chanson… « poélitique ». Le personnage vient ainsi défendre une certaine idée de la chanson (et de la vie en société) et chante des airs qui correspondent à ce qu’il privilégie, passant d’un thème à l’autre, Paris, l’amour, la mort, la revendication. Ferrat et Ferré étaient des personnalités engagées. Rien de mieux que certaines de leurs œuvres pour donner de l’éclat à un meeting politique. Pardon : poélitique. La soirée s’achèvera, en effet, sur L’Age d’or de Ferré, une merveille du texte utopique.
Mais l’histoire n’aura pas de vraie conclusion, se perdra en route. On ne verra point notre héros, qui aura vite remisé son smoking pour trouver la simplicité prolétaire, batailler avec d’autres candidats à l’élection. En dehors des instants chantés et des commentaires farfelus, les péripéties seront surtout celles d’un chanteur affrontant les difficultés techniques de la salle de meeting et de mini-conflits (joyeux) avec ses partenaires musiciens. Plus de gags que d’histoire, au bout du compte. Farré président ? On ne le saura jamais, comme dit la chanson…
Un récital émaillé d’invention burlesques
Plus qu’une pièce, donc, c’est un récital émaillé d’inventions burlesques, de facéties décapantes, où les chansons se recoupant et s’additionnant créent peu à peu une sorte de trésor littéraire et musical. Léo Ferré l’emporte au nombre de couplets, suivi par Ferrat, mais les quatre chansons de Farré ne dépareillent pas : elles sont d’une cocasserie hilarante. Le programme ne favorise d’ailleurs pas les chansons connues. Mon piano de Ferré est un air oublié et joliment délirant. Et il y en a bien d’autres. Pour la mise en scène, Ghislaine Lenoir a bien réglé les enchaînements et les rebonds. Comme personne n’a signé le décor sur l’affiche, on peut penser que le piano et les éléments du dispositif ont été placés sans trop de recherche esthétique : le cadre est un peu brouillon, un peu comme ça vient. C’est comme au meeting ! Et la parodie du meeting est, elle, de la meilleure veine puisque Farré, poète et interprète loufoque, porte dans ses mots et ses gestes un monde comique où s’inscrivent à la fois une allègre mise en cause du confort mental et une sensibilité forte et masquée. La voix est puissante ; elle n’a pas le velouté qu’avaient parfois les créateurs dans leurs chants d’amour. Mais l’on est là dans une version quasi opératique de la chanson, alors même que des drôleries animent en accéléré les sauts d’un air à l’autre. Benoît Urbain et Florence Hennequin sont des accompagnateurs brillants qui savent donner la réplique et s’amuser à faire quelques bruitages.
Voilà Jean-Paul Farré à l’écart de ses shows pianistiques (il tape quand même un peu sur le clavier, par moments, en pirate de l’acoustique) et dans un registre imprévu où il excelle : l’exercice de l’amitié avec les poètes d’un antan si moderne.