Elle rêvait d’une ferme en Afrique, de René Fix

L’autrice, l’actrice et le producteur

Elle rêvait d'une ferme en Afrique, de René Fix

On connaît la fabuleuse aventure de la baronne danoise Karen Blixen en Afrique dans les années 1920. Aventure qui malgré son échec fut couronnée par un livre autobiographique (La Ferme africaine) et un film hollywoodien (Out of Africa), également célèbres. On connaît moins le succès mondial de l’écrivaine des Contes d’hiver, notamment aux États-Unis, à New York en particulier, où à la fin de sa vie elle rencontre la jet-set de l’époque. Une série de photos témoigne ainsi d’un dîner avec Marilyn Monroe et son mari Arthur Miller, en 1959.

C’est de ces photos qu’est partie Claudia Morin, actrice et metteuse en scène, pour lancer René Fix (avec qui elle a souvent travaillé, entre autres pour son adaptation de Seul dans Berlin) sur la piste d’une pièce qui porte un regard rétrospectif sur l’industrie du spectacle américaine des années cinquante. Le sujet en serait le passage d’abord à la scène, ensuite à l’écran, de la vie de l’aristocrate danoise à la forte personnalité. Avec pour enjeu, le challenge d’une actrice américaine en pleine ascension d’incarner la fermière africaine que fut, dans une autre vie, la romancière devenue monstre-sacré.

Théâtre dans le théâtre, Elle rêvait d’une ferme en Afrique, repousse les murs de la petite salle de l’Essaïon, dans le Marais, et ouvre à de nombreux voyages : dans l’espace (du Kenya à New York), dans le temps (entre les années vingt et les années cinquante). Voyage aussi de la réalité (celle de l’entreprise agricole au Kenya) à la fiction (celle du projet théâtral). Seule Claudia Morin n’y joue qu’un seul rôle : celui de la vieille baronne excentrique attendant, sceptique, de rencontrer dans un restaurant un producteur hollywoodien, Finch, venu lui proposer une adaptation théâtrale de son livre. Sans lui laisser une grande marge de négociation en vertu de la loi américaine sur le copyright. Une jeune comédienne, sa maîtresse, Shelley, l’accompagne, pressentie pour interpréter l’héroïne du livre. Clairement, le producteur est venu obtenir l’adoubement de la baronne et pour son projet et pour son actrice.

Découverte éblouie de l’Afrique

Mais la pièce attribue à ce couple actrice/producteur un autre rôle dans un autre temps : par la grâce de flash-backs habilement menés, lui devient le mari de Karen Blixen, un snob qui ne pense qu’à courir les clubs coloniaux anglais (et les femmes) et qui loin de seconder la fermière dans son entreprise caféière lui crée des problèmes (entre autres, il lui transmettra la syphilis). Elle devient Karen Blixen jeune, fragile mais déterminée, tout éblouie par sa découverte de l’Afrique et décidée à mener à bien son entreprise agricole.

Ces voyages sur scène s’organisent avec un minimum de moyens et d’effets. De simples caisses figurant les bagages de la Baronne tiennent lieu de décor. Elles sont déplacées à vue au gré des voyages évoqués. Et des jeux d’éclairages et de bruitages permettent de passer avec fluidité de l’atmosphère feutrée du restaurant new yorkais à la séance de répétition sur la scène vide d’un théâtre de Broadway, en passant par l’indicible poésie d’un couchant sur la brousse africaine peuplée des chants des Kikuyus.

Avec pour préoccupation manifeste d’éviter les clichés - aussi bien folkloriques sur l’Afrique que glamour sur Broadway – le spectacle se focalise sur la relation autrice/actrice. D’abord impérieuse et cassante, la baronne, très Gloria Swanson dans Sunset Boulevard, s’adoucit peu à peu, tombée sous le charme de l’actrice pétrie d’admiration, paralysée par ce rôle écrasant. Avec sa présence impressionnante, Claudia Morin incarne la mue de la romancière autoritaire en pygmalion attentive à prendre sous son aile l’enfant qu’elle n’a pas eu. Pour sa part, Julie Timmerman a ce qu’il faut de fraicheur pour jouer l’actrice inquiète de rendre les frémissements et les éblouissements dont parle la romancière. Quant à Philippe Caulier, il glisse avec aisance de la casquette du mari volage et à celle du producteur carnassier.

« Elle rêvait d’une ferme en Afrique » de René Fix. Mise en scène : Claudia Morin. Collaboration artistique : René Fix. Scénographie : Pascale Stih. Conception lumière : Philippe Sazerat. Costumes : Dominique Rocher. Effets sonores : René Fix. Avec Claudia Morin, Julie Timmerman, Philippe Caulier, Clément Camara.
Théâtre de l’Essaïon jusqu’au 22 mars, dimanche à 18h, lundi et mardi à 21h, www.essaion-theatre.com

Photo Laurencine Lot

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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