Critique – Opéra – Classique

Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart

Du tracé au débraillé, une reprise qui ne tient pas ses promesses

 Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart

Lever de rideau hors norme jeudi 15 janvier au soir du coup d’envoi de cette troisième reprise du Don Giovanni de Mozart revu et repensée par le cinéaste allemand Michael Haneke. Les chœurs de l’Opéra National de Paris alignés à l’avant- scène ont attendu que Stéphane Lissner, patron de l’institution, achève son hommage aux victimes des récents attentats terroristes, avant d’entamer symboliquement l’appel à la liberté du « Va pensiere » extrait de Nabucco de Verdi. La fraternité, la laïcité, la volonté de résister et de transmettre la passion de vivre par l’art : les mots de Lissner, la musique de Verdi ont fait lever la salle en silence.

Puis Alain Altinoglu, dans la fosse a substitué Mozart à Verdi conformément au programme et fait retentir en mystère et sagacité l’ouverture de cette œuvre souvent appelée « l’opéra des opéras », chef d’œuvre de la trilogie Mozart-Da Ponte.

En 2006 au Palais Garnier la transposition des aventures de ce coureur de jupon métaphysique dans un décor rappelant les tours de la Défense avait failli tourner en bataille d’Hernani, divisant la salle en protestataires furieux contre admirateurs béats. Un an plus tard la mise en scène trouvait sur le plateau Bastille un environnement mieux taillé à ses nouvelles mesures. Les spectateurs avaient fini par s’habituer aux courants, voire aux délires « modernistes ». Même constat en 2012. (voir WT 836 & 1065)

La mise en scène de Haneke allait-elle devenir un classique comme ce fut le cas autrefois avec le Nozze di Figaro sublimé par Giorgio Strehler… La réponse au vu de cette reprise serait non. D’ailleurs Haneke ne la signe pas. La production est intitulée « selon » Haneke… et le transfert avec des interprètes non choisis et non dirigés par le cinéaste en démasque les faiblesses.

Portes aveugles et techniciens de surface

Ce qui sous la direction de Haneke était tracé au cordeau de la rigueur, tombe dans l’à peu près voire le débraillé… On retrouve le béton et le verre des larges baies vitrées s’ouvrant sur des colonnes de fenêtres illuminées, les coursives trouées d’ascenseurs et de portes aveugles, on reconnaît parmi les techniciens de surface affairés à faire le ménage, les personnages de Zerlina et de Masetto, et ce couple social formé par Don Giovanni, cadre supérieur, ivre de sexe et de pouvoir et Leporello son subordonné hésitant entre servilité et rébellion. Peter Mattei et Luca Pisaroni « filmés » par Haneke projetaient leurs personnages avec une netteté taillée au scalpel. Les basses Erwin Schrott et Adrian Sampetrean, vocalement à peu près honnêtes, brouille la rigueur de leur relation en miroir, le premier en transformant le séducteur en canaille du cul agité, surjouant chaque situation, le second en s’effaçant constamment devant ses excès. L’air du calalogue énuméré à partir d’un smartphone fait rire sans rendre justice à son génie. Les deux hommes se ressemblent à quelques cheveux près et pour les distinguer une paire de bretelles et une cravate dénouée sont censés faire la différence. Dans les clair-obscur – plutôt obscur – des éclairages cele ne suffit pas. Le Masetto ferme et droit d’Alexandre Duhamel compense la terne prestation de Stefan Pop, Ottavio au phrasé juste mais sans éclat. Au rayon des femmes, Tatiana Lisnic réussit à allier épaisseur detimbre, précision, émotion et même virtuosité à donna Anna tandis que Marie-Adeline Henry, joli fruit de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, rallie tous les suffrages par sa fraîcheur, sa spontanéité, et la voltige légère de ses aigus. La mezzo Serena Malfi apporte à Zerlina une sorte de naïveté bougonne enveloppée de chaleur vocale.

Ces solistes apportent leur talent, leur savoir-faire. Mais tout se déroule dans une espèce de désordre qui rend plus pesants encore les silences interminables déjà dénoncés lors des précédentes productions. Et donnent aux sur-titres trafiqués (le texte de Da ponte ne correspondant plus à ce qui se déroule sur scène) l’allure d’un artifice superflu ou même d’une trahison. Alain Altinoglu entre rêverie mozartienne et course d’obstacle, alterne les tempis du mieux qu’il peut pour meubler les temps morts. L’ennui s’installe au détriment de cette merveille musicale et philosophique . Dommage.

Don Giovanni de W. A. Mozart, livret Lorenzo da Ponte, orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Alain Altinoglu, chef des chœurs José Luis Basso, mise en scène « selon » Michael Haneke, décors Christof Kanter, costumes Annette Beaufaïs, lumières André Diot. Avec Erwin Schrott, Liang Li, Tatiana Lisnic, Stefan Pop, Marie-Adeline Henry, Adrian Sampetrean, Alexandre Duhamel, Serena Malfi.

Opéra Bastille les 15, 20, 23, 28 janvier, 2, 5, 11 février à 19h30, les 25 janvier et 8 février à 14h30
08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

Photos Vincent Pontet

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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