Debussy aux Champs Élysées

Si les Champs Élysées sont, dans la mythologie grecque, le séjour heureux des âmes des héros, Debussy a dû se sentir chez lui au théâtre et dans la compagnie de l’orchestre éponymes.

Debussy aux Champs Élysées

IL Y A DES ASSOCIATIONS qui paraissent aller de soi : l’Orchestre des Champs-Élysées et Louis Langrée, par exemple, donnent presque naturellement l’impression d’être faits l’un pour l’autre. La ductilité de l’orchestre (fondé en 1991, on le sait, à l’initiative de Philippe Herreweghe et d’Alain Durel), sa capacité à aborder cent cinquante ans de musique sur instruments d’époque, de 1750 à 1900, et l’aisance avec laquelle le chef passe du Cincinatti Symphony, dont il est directeur musical, à l’Orchestra of the Age of Enlightenment, sont bien sûr les gages de cette entente. Mais au-delà des répertoires, au-delà des instruments, il y a aussi le style et la sensibilité. Et on sait gré à Louis Langrée d’obtenir de l’Orchestre des Champs-Élysées l’essentiel ce qu’il peut offrir : couleur, phrasé, dynamique, respiration, bref tout ce qui sépare une belle machine d’un organisme vivant.

Le concert donné le 13 février dernier au Théâtre des Champs-Élysées avait aussi pour intérêt de remettre en jeu cette question maintes fois évoquée, mais qui ne sera jamais résolue : qu’est-ce que la musique française ? est-ce là une réalité palpable ou une invention de musicologues ? Car à l’audition, il n’y a pas plus différents que Magnard, Chausson et Debussy, trois compositeurs presque contemporains mais qui peuvent difficilement communier dans le poncif de la « transparence française ».

Des trois, malgré les efforts de quelques chefs, Magnard reste le plus méconnu. On cite plus souvent ses symphonies qu’on les joue, et son opéra Gercœur est rarement à l’affiche des théâtres lyriques. Son Hymne à la justice (créé en 1903), qui ouvrait le programme, n’a rien d’un choral ou d’une procession solennelle. C’est une page qui s’ouvre sur un motif violent, puis un autre apaisé comme une prière, les deux s’entrechoquant ensuite avec une « obstination brucknérienne », selon le mot de Franck Mallet, avant que le morceau s’achève dans la paix, avec cette fois des couleurs qui peuvent rappeler Tristan.

Le liant puis le pulvérisé

On connaît bien le Poème de l’amour et de la mer en revanche, même si Chausson, après tout, si l’on met à part cette œuvre et son Concert pour piano, violon et quatuor, n’est pas si souvent inscrit, lui non plus, au programme des concerts. Cette œuvre unique dans son genre, ni mélodie, ni cantate, utilise six poèmes de Maurice Bouchor répartis en deux volets, de part et d’autre d’un poignant interlude (ah, la couleur du basson français !) et, malgré des retours d’allégresse, s’enfonce peu à peu dans la mélancolie de l’amour perdu. Anna Caterina Antonacci, souffrante, était remplacée par Gaëlle Arquez, au timbre plus sombre, à la diction moins acérée, mais qui rayonne dans cette musique. Une musique d’une touffeur de serre, parfois, avec un orchestre qui a le liant des flux.

Avec La Mer, on change du tout au tout. Debussy évoque non pas ici ce qui se déroule, mais ce qui est permanent, ce qui est toujours changeant et toujours le même. Le prodigieux volet central de ce trypique (« Jeu de vagues ») évoque à la fois l’éparpillement et l’immobilité ; si l’on veut absolument parler de transparence, c’est ici qu’il faut utiliser le mot, d’autant que l’Orchestre des Champs-Élysées, de par sa disposition (violons I et violons II de part et d’autre du chef) et sa composition instrumentale (contrebasses mordantes, cuivres tranchants), a toutes les qualités pour laisser jaillir cette transparence. Louis Langrée apporte pour sa part le mouvement passionné qui fait de La Mer un paradoxe musical, une mise en forme de l’eau et du vent, par définition insaisissables.

La flûte (mais aussi le hautbois) sont à la fête à l’occasion d’un Prélude à l’après-midi d’un faune offert en bis par un orchestre plus délié, plus articulé que jamais. Debussy chez les dieux.

Photographie : Louis Langrée par Benoît Linero

Magnard : Hymne à la justice – Chausson : Poème de l’amour et de la mer – Debussy : La Mer. Gaëlle Arquez, mezzo-soprano ; Orchestre des Champs-Élysées, dir. Louis Langrée. Théâtre des Champs Élysées, 13 février 2016.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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