Critique – Opéra/Classique

DON GIOVANNI de Wolfgang Amadeus Mozart.

Course au pouvoir et addiction au sexe : Mozart selon Michael Haneke

DON GIOVANNI de Wolfgang Amadeus Mozart.

Cette quatrième reprise de la production « historique » du Don Giovanni de Mozart réinventé par le cinéaste autrichien Michael Haneke, marquerait-elle le point final d’une aventure où Mozart et Da Ponte ont été propulsés dans l’univers anonyme d’une multinationale ? Dans les quartiers de la Défense, de la City ou de Wall Street ! Si c’est le cas, le spectacle est à ne pas manquer, même si la distribution et la direction d’orchestre n’atteignent pas le niveau d’excellence dont on rêve.

La course au pouvoir et l’addiction au sexe du cadre supérieur d’une grosse entreprise sont, au fil des années, devenus le miroir d’une certaine réalité de notre temps. Diagnostiquée à la loupe par la psychanalyse et ses dérives telles qu’elles apparaissent dans les films de Haneke (La Pianiste, Amour…).

L’aventure a commencé en 2006 au début de la gestion du regretté Gérard Mortier qui aimait tant les regards neufs sur des œuvres anciennes. Dans les ors et velours du Palais Garnier, la transposition du chef d’œuvre mozartien - l’opéra des opéras -fit un joli scandale. Un an plus tard dans l’architecture contemporaine de Bastille, les baies vitrées du décor, les silhouettes trouées de fenêtres des tours voisines, les coursives, les ascenseurs, devenaient une sorte de prolongement naturel de la salle. Et opérait une métamorphose sur le public. Les applaudissements enthousiastes se substituaient aux huées.

Les phantasmes obsessionnels des films de Haneke sont mis en théâtre. Les caractères taillés au scalpel, l’intrigue, ses rebondissements supplantent la musique. Les silences percent des trous d’air dans la partition, font grimper le suspens à la façon des polars. Ici c’est « Prima le parole, dopo la musica » ! Nous sommes au spectacle, pas au concert !

Unité de lieu, unité de temps

Unité de lieu, unité de temps. Tout se déroule le même jour dans le même espace au gré des lumières d’André Diot qui le balaient de noirs d’encre et d’éclairs. Au matin, Don Giovanni, le directeur lubrique et alcoolique, abuse d’Anna, la fille du PDG. Celui-ci intervient pour la défendre. Giovanni le tue (par accident ?). Les techniciens de surface ont fait le ménage. Ils préparent le mariage de l’un d’entre eux. Une fête masquée. Don Giovanni émoustillé veut s’envoyer Zerlina la fiancée de Masetto. Elvire une ex-conquête réapparaît. Ainsi qu’Anna et son soupirant Ottavio Tous sont prisonniers d’un huis clos où tout est permis. Giovanni chante son hymne à la liberté. La vengeance s’organise. La nuit est tombée. Le cadavre du PDG/Commandeur est poussé sur une chaise roulante. Dans la foule Elvire (ou Anna ? ou Zerlina ?– elles ont toutes revêtu les tabliers de l’équipe d’entretien) poignarde l’assassin. Fenêtre ouverte il est projeté dans le vide.

Haneke a donc transvasé Don Giovanni dans les subconscients de notre temps. L’au-delà de la mort, l’enfer, tout ce qui échappe au concret, à la matérialité des êtres et des choses est éliminé. Selon le programme (embelli, entièrement remanié), la reprise est exécutée « selon » sa mise en scène. Elle en accentue les détails, en approfondi les dérives, et même en réactualise les accessoires : l’air du catalogue est lu sur un smartphone ! Mozart sert d’accessoire et pourtant il résiste et s’impose ! Son génie l’emporte.

Force et velouté de Maria Bengtsson

Peter Mattei a sans doute été le Don Giovanni idéal de ces dix dernières années. La succession est périlleuse, tout comme celle de Luca Pisanori en Leporello sous-fifre agacé mais servile. Même s’il est honnête, le choix des interprètes de ce quatrième lever de rideau n’accède pas à l’exceptionnel que l’on attend toujours d’une grande maison comme l’Opéra de Paris. Artur Rucinski joue les cavaleurs de jolis culs avec une désinvolture hargneuse et un timbre de baryton sans accroc ni surprise, Alessio Arduini se glisse en souplesse dans les défroques (ici costard cravate) d’un Leporello dépassé par les événements, Karine Deshayes jongle avec les aigus obsessionnels et les graves désespérés d’une Elvire en rupture avec elle-même.
Timbre flexible, clair et ample pour l’Ottavio de Matthew Polenzani qui, malgré une raideur de jeu, de scène en scène finit par remporter un joli succès. Nadine Sierra prête une grâce mutine à Zerlina et Fernando Rado donne à Masetto une candeur d’ado en colère. Le Commandeur/PDG de Alexander Tsymbalyuk ne dédaigne pas l’usage de l’amplificateur pour au deuxième faire entendre un timbre de fausse outre-tombe. La surprise et révélation de la soirée s’appelle Maria Bengtsson, soprano suédoise qui mêle force et velouté dans les interventions d’une Anna éperdue et perplexe.

L’orchestre est sagement dirigé par Patrick Lange. Aucun faux pas, aucune prise de risque, une attention constante aux voix, mais en panne d’inspiration personnelle.

Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte (1787). Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Patrick Lange, chef des chœurs Alessandro di Stefano. Production reprise selon la mise en scène de Michael Haneke, décors Christoph Kanter, costumes Annette Beaufaÿs, lumières André Diot. Avec Arthur Rucinski, Alexander Tsymbalyuk, Matthew Polenzani, Karine Deshayes, Alessio Arduini, Fernando Rado, Nadine Sierra.

Opéra National de Paris – Bastille, les 12, 14, 16, 19, 23, 26, 29, septembre, 2, 6, 11, 16 octobre à 19h30

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

Photos Christian Leber, Christophe Pelé

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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