Critique – Opéra & Classique

Cosi fan tutte de Wolfgang Amadeus Mozart

En danses, abstractions et symboles ...

 Cosi fan tutte de Wolfgang Amadeus Mozart

Confier la mise en scène d’un opéra à un(e) chorégraphe, pourquoi pas ? L’idée n’est pas neuve. Pina Bausch, entre autres, avait à l’Opéra National de Paris réussi une très belle version chorégraphiée d’Orphée et Eurydice de Gluck (voir WB 4111 du 30 avril 2014, la critique d’Yves Bourgade). Tout dépend évidemment de l’œuvre. Et de son traitement.

La mise en scène (et en danses) de Cosi fan tutte, le plus intimiste de tous les opéras de Mozart, par la célèbre chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker laisse perplexe. Ce subtil chef d’œuvre, le dernier de la trilogie composée par Mozart sur un livret de Da Ponte (après Les Noces de Figaro et Don Giovanni) est entièrement fondé sur des conflits psychologiques. Son titre misogyne - Elles le font toutes - masque un contenu où au final ce sont les hommes manipulateurs qui perdent la face. A partir d’un pari générateur de troubles lancé par un vieux sceptique, tout se joue sur des pulsions secrètes. C’est un vaudeville dont les apparentes plaisanteries maquillent- en souriant - les visages de la mélancolie humaine. Des transpositions dans le temps, dans l’espace, dans les modes de ce Cosi, il y en a eu tant et plus. Celle d’Ezio Toffoluti toute en poésie qui avait en 1996 marqué la réouverture du Palais Garnier après travaux restera l’une des plus emblématiques. Elle y fut reprise une demi-douzaine de fois.

Baladé de la ville à la campagne, d’un hôtel de luxe à un magasin de prêt à porter chic, revu à la loupe (mais jamais corrigée) par des metteurs en scène aussi divers que Patrice Chéreau, David McVicar, Guy Joosten, Jim Lucassen, entre autres, ce Cosi à dimensions universelles avait à ce jour résisté à tous les régimes.

Les abstractions et les symboles que lui inflige aujourd’hui la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker le vide de sa substance et, en véritable tour de force, le rendent ennuyeux. Un spectateur novice risque fort d’en perdre le fil dans le décor glacial, blanc de blanc de Jan Versweyveld, avec ses panneaux de plexiglas en perspective, ses tuyaux et ses échelles. Tout se passerait donc sur un plateau de théâtre peint à la chaux dont le rideau de fer est baissé. La "servante" – cette lampe sentinelle qui veille sur le théâtre – est suspendue en fond de scène. Lieu de travail, lieu de répétitions, les personnages s’y installent dédoublés. Chaque chanteur, chaque chanteuse est gratifié d’une doublure qui, en une sorte de calque, danse la partition qu’il chante. Ensemble, ils se placent en arc de cercle, se balancent, se roulent au sol, prennent la fuite dans les coulisses. Ici ou là, les chanteurs à leur tour esquissent de pas de danse. Certains le font avec élégance comme le jeune baryton basse Philippe Sly qui incarne un Guglielmo facétieux à la voix ferme.

Les voix restent d’ailleurs l’atout de la production. La distribution est jeune et dynamique. Jacquelyn Wagner distille des aigus planants en Fiordiligi mais quand la mise en scène la place statufiée face au public son jeu forcément se dilue, Michèle Losier en Dorabella, la volage au timbre capiteux manque un peu de sensualité, Frédéric Antoun, ténor tout en clarté et douceur, réussit à rendre crédible un Ferrando égaré par la déception et la jalousie. Paulo Szot fait virevolter un Don Alfonso bateleur bien plus jeune que celui de la tradition, ce qui ajoute un cynisme particulier aux graves policés de sa voix. Révélation de la soirée : Ginger Costa-Jackson, mezzo-soprano venue de Sicile, métamorphose Despina en clownesse montée sur ressorts, mordante et charmeuse de voix comme de présence.

Philippe Jordan dirigeait déjà ce Cosi dans la production de 1996, en retenue et une certaine timidité. Il a fait un drôle de chemin depuis ces presque débuts, il est devenu star parmi les maestros de sa génération. Et son Cosi, cette fois, tout à l’écoute des chanteurs, rutile de musicalité jusqu’aux silences qui suspendent Mozart dans les sphères du rêve et de l’éternité.

Cosi fan tutte de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte. Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Philippe Jordan, chef des chœurs Alessandro di Stefano, mise en scène et chorégraphie Anne Teresa de Keersmaeker, décors et lumières Jan Versweyveld, costumes An D’Huys. Avec les chanteurs Jacquelyn Wagner, Michèle Losier, Fréderic Antoun, Philippe Sly, Paulo Szot, Ginger Costa-Jackson, les danseurs Cynthia Loemij, Samantha van Wissers, Julien Monty, Michaël Pomero, Bostjan Antoncic, Marie Goudot.

Palais Garnier, les 26, 28 31 janvier, 4, 7, 10, 13, 16 février à 19h30, le 19 février à 14h30

08 92 89 90 90 - +33 1 71 25 24 23 – www.operadeparis.fr

Photos Opéra National de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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