Opéra National du Rhin à Strasbourg

Cosi fan Tutte

Les jeux du désir et du désenchantement

Cosi fan Tutte

Cosi fan tutte - elles le font toutes ? - Ou Cosi fan tutti - ils le font tous ? A l’aube du 250e anniversaire de la naissance de Mozart, les célébrations programmées dans les maisons d’opéra de France et des environs affichent en vedette Cosi fan tutte, chef d’œuvre tardif longtemps méconnu voire boycotté. Une dizaine de nouvelles productions verront le jour jusqu’au terme de cette année Mozart. Après Paris, qui inaugura le cortège avec la mise en scène de Patrice Chéreau (voir article du 19/09/05), Strasbourg prend la relève en confiant l’enfant rebelle au jeune metteur en scène venu d’Ecosse David McVicar. Un choix qui se révèle gagnant.
Rebelle, elle l’est vraiment cette dernière œuvre signée par Mozart avec Lorenzo Da Ponte, le librettiste de ses Noces de Figaro et de Don Giovanni, une commande de l’empereur Joseph II qui fut livrée le 26 janvier 1790, un an avant la mort prématurée de son compositeur.

Un sujet qui heurta les consciences pudibondes

Un dramma giocoso, ou plus exactement un opera buffa sur fond de libertinage dont le sujet, durant tout le XIXe siècle heurta les consciences pudibondes jusqu’à le mettre à l’index. Aucun remous pourtant ne fut enregistré à sa création à Vienne : les jeux de l’amour étaient dans l’air du temps tout comme les jeux de masque et de travestissement dont Marivaux se fit le chantre le plus élégant et le plus cruel. Il fallut attendre Richard Strauss, au début du XXe siècle, pour qu’une personnalité reconnue prenne la parole et décide de remettre ce joyau dans son écrin.
Sous quel angle aborder cette comédie aux allures de champagne, à la conclusion désabusée, à la musique luxuriante, d’une maîtrise et d’une maturité absolue ?

Le plaisir irrépressible de l’instant

A première vue, il ne s’agit que d’un pari stupide : Don Alfonso en vieux séducteur rangé des voitures et revenu de toute illusion met au défi Guglielmo et Ferrando, deux jeunes hommes follement épris des deux sœurs auxquelles ils sont fiancés, Dorabella et Fiordiligi. « Toutes infidèles par nature », prétend l’aîné et parie cent sequins qu’au terme d’un stratagème astucieux, elles succomberont comme les autres : les fiancés simuleront un départ à la guerre et reviendront aussitôt déguisés en riches Albanais éperdus d’amour. Despina, servante et complice, aidera au dénouement. La prédiction s’accomplit : d’abord réticentes, les belles finissent par céder et avec leur défaite, tombent pour tous les illusions des amours idéales... La frivolité n’est qu ‘apparente dans ce trouble jeu de l’amour et du hasard manipulé : au centre de ce faux badinage bat la cadence de la pulsion des corps, de la découverte du désir, du plaisir irrépressible de l’instant, de la vie comme elle va...

Un petit paradis où va naître la violence de la tentation

Autant de turbulences des cœurs et des corps que David McVicar a parfaitement mis en lumière. Sans épate, sans acrobatie de fausse modernité. Pour toute transposition, il s’est contenté d’avancer d’un siècle, du XVIIIe au XIXe, des perruques poudrées au romantisme des cheveux au vent. Cette folle journée qui commence au petit matin dans l’insouciance des certitudes s’achève ainsi à la nuit tombée dans l’amertume des désillusions. Symbolisme et beauté priment dans le décor de Yannis Thavoris, une salle de billard en clair-obscur où sont jetés les dés du pari, la demeure des deux sœurs avec ses volets clos où filtrent des rayons mélancoliques, sa terrasse en plein soleil surplombant la mer de Naples, ses deux rochers debout jaillis d’une toile de Caspar David Friedrich, sa végétation qui envahit l’espace comme une menace, et les pastels d’une lumière dont Turner aurait pu éclabousser ses paysages. C’est un petit paradis où peu à peu va naître la violence de la tentation et, en corollaire obligé, celle des relations qui lient et opposent les hommes aux femmes.

McVicar, formidable directeur d’acteurs

McVicar, dont on connaissait l’humour décapant (dans Agrippina de Haendel ou Le Couronnement de Poppée de Monteverdi) la poésie fantasmée (dans Le Songe d’une Nuit d’Eté de Britten), se révèle ici fin psychologue, formidable directeur d’acteurs, tirant le meilleur de chacun des très jeunes interprètes du sextuor de personnages de la distribution. Une prouesse compte tenu de la médiocrité de l’Orchestre (pourquoi avoir convié le modeste Orchestre symphonique de Mulhouse, alors que celui de Strasbourg s’est toujours révélé excellent ?) et de la raideur de son chef Dietfried Bernet qui semble se contenter de battre mécaniquement la mesure. Mais Guglielmo et Ferrando, le baryton Franco Pomponi et le ténor Alfred Boe, l’emportent en gamins en cours de récréation découvrant leur faiblesse et leur violence, le premier en chien fou et aux graves dansants, le second en Pierrot tombé de sa lune et aux aigus fermes et vaillants.

Des interprètes presque idéales

Dorabella la sensuelle et Fiordiligi la cérébrale trouvent en Deanne Meek, voix convenue mais jeu voluptueux et en Henriette Bonde-Hansen, timbre exquis et présence délicate, des interprètes presque idéales, la seconde surtout qui affronte avec art tous les pièges d’un rôle aux facettes musicales en kaléidoscope. Jason Howard campe un Don Alfonso pas si décati que ça, plus grand seigneur blasé que barbon cynique. La palme revient à la succulente Despina de Marie Mc Laughlin qui, aux prouesses vocales (que son personnage d’ailleurs n’exige pas), privilégie un étourdissant numéro de comédienne, débordante de santé, de bon sens et d’à propos. Quand, au final, elle gifle Don Alfonso pour le remercier du sale tour qu’il lui a fait jouer, c’est toute la fable qui bascule. Car McVicar laisse ouverte la conclusion : alors que traditionnellement chacun retrouve sa chacune sans plus y croire, on ne sait plus très bien quels couples vont sortir de ces drôles d’impasses amoureuses. A chacun de leur trouver une issue.

Cosi fan tutte, de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte, orchestre symphonique de Mulhouse, direction Dietfried Bernet, mise en scène David McVicar, décors Yannis Thavoris, costumes Tanya McCallin, avec Henriette Bonde-Hansen, Deanne Meek, Marie McLaughlin, Franco Pomponi, Alfred Boe, Jason Howard - Opéra National du Rhin. A Strasbourg les 6,9,11,13,15,17,20 décembre (03 88 75 48 00). A Mulhouse les 6,8,10 janvier (03 89 36 28 28).

Crédit photo : Alain Kaiser

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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