Paris - Théâtre du Châtelet

Candide

La joyeuse férocité de Voltaire et Bernstein

Candide

Insolence joyeuse, intelligence au fil du rasoir, imagination lâchée à cent à l’heure et swing à chaque escale, autant le dire d’emblée, au Châtelet Candide de Leonard Bernstein d’après Voltaire est un pur régal.

Ce petit chef d’œuvre grinçant, à mi-chemin entre l’opéra et la comédie musicale, créé à Broadway il y a tout juste 50 ans n’avait jamais été joué en France. Méconnaissance ou négligence ? Allez savoir... Le Châtelet vient enfin d’en réparer l’injustice avec une production de luxe et d’esprit. Les tribulations de Candide, Panglosse, Cunégonde, Martin et les autres y sont transposées à l’ère de la toute-puissante télé, du pétrole et des guerres qui se font en son nom. C’était hier, c’est aujourd’hui, un petit tour de passe-passe que le metteur en scène canadien Robert Carsen a fait sortir de son chapeau en réadaptant le livret d’Hugh Wheeler et Lillian Hellman. Lesquels en leur temps avait déjà largement détournés le conte philosophique et initiatique de Voltaire en le mettant au goût et aux soucis du jour. Car à la mi-temps des années cinquante les Etats Unis d’Amérique qui, dix ans plus tôt, avait vaincu le nazisme, courbait l’échine sous les délires du Maccarthysme. Le jeune compositeur et chef d’orchestre Bernstein était visé comme tous ceux qui avaient l’outrecuidance de penser que tout pouvait « aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». C’est la dramaturge Lillian Hellman, directement inquiétée, qui fit connaître à Bernstein les aventures de ce Candide qui y croyait de toute son âme. En 1956 à Boston, puis à New York la première mouture de Candide ne connut guère de succès. Deux ans plus tard le triomphe planétaire de West Side Story en éclipsa la trajectoire. Mais Candide, comme ses maîtres d’œuvre, était têtu navigant d’adaptations en réécritures avec de nouveaux « lyrics » et de nouveaux rebondissements jusqu’à une version définitive en 1983. Qui fit le tour du monde des grandes maisons d’opéra à l’exception de celles de Paris.

Images glamour des « happy fifties »

L’astucieux Carsen, expédie Candide sous les spots d’une émission de télévision fabriquée dans ces années-là. Le cadre de scène représente un poste à l’ancienne, sur l’ouverture défile un générique drolatique où le portrait animé de Voltaire tient lieu de présentateur. Puis, suivent des images glamour de ces « happy fifties » made in Hollywood... L’autre initiative de l’enchanteur Carsen a été d’inventer le personnage d’un narrateur, Voltaire en personne « of course » et qui, comme il se doit, s’exprime en français alors que tout le reste, fidèle à la v.o, se passe en anglais. C’est le merveilleux Lambert Wilson qui endosse la perruque et les atours de l’auteur, puis qui, à la vitesse du vent, se transforme en Panglosse ou en Martin, véritable Fregoli parlant toutes les langues, chantant, dansant, un phénomène si rare dans le ciel du théâtre en France.

La Westphalie devient « West-Failure », traduit en surtitrage par « Ouest-Faillite »...Jeux de mots, jeux d’images, l’Histoire et les histoires, sans dessus dessous, du kitsch et des paillettes, des gags comme s’il en pleuvait jusqu’à l’apparition hilarante des grands de notre monde - Bush, Blair, Poutine, Berlusconi et... Chirac - tanguant, ivres morts et en maillot de bain sur une mer de pétrole... Règlement de comptes à OK-US : quand Carsen s’amuse à dénoncer les travers de notre temps, il n’utilise pas la langue de bois et ne brode pas dans la dentelle. Ses armes sont ludiques, sa satire joviale, fidèle dans l’esprit à Voltaire et à la lettre à Bernstein.

John Axelrod fait swinguer de plaisir les musiciens de l’Ensemble Orchestral de Paris, William Burden campe un Candide à la mode G.I. à la voix fruitée et aux airs délicieusement ahuris, la Cunégonde un rien godiche d’Anna Christy se donne l’allure de ces gamines qui roucoulent dans les vieux feuilletons américains, Kim Criswell incarne une époustouflante « Old Lady », souple, marrante et magnifiquement en voix. Jenny Bern/Paquette, John Daszak en Grand Inquisiteur, Ferlyn Brass en Cacambo, tous ont une pêche de tous les diables et les danseurs ont le diable au corps.

Ce Candide décidément est le plus beau cadeau que le Père Noël a mis dans la hotte des spectacles parisiens de cette fin d’année. Ne le ratez pas.

Candide de Leonard Bernstein d’après Voltaire, livret de Hugh Wheeler, librement adapté par Robert Carsen et Ian Burton, mise en scène Robert Carsen, chorégraphie Rob Ashford, décors Michael Levine, costumes Buki Shiff, Ensemble Orchestral de Paris, direction, direction John Axelrod, chœur du Théâtre du Châtelet direction Stephen Betteridge. Avec Lambert Wilson, William Burden, Anna Christy, Kim Criswell, John Daszak, Jeni Bern, David Adam Moore, Ferlyn Brass...Et les danseurs du Châtelet.

 Les 11, 13, 15, 19, 23, 26, 28 & 31 décembre à 19h30
 tel : 01 40 28 28 40
 http://www.chatelet-theatre.com

Retransmission sur Arte et France Musique le 20 janvier 2007 à 22h30

Crédit photo : Marie-Noëlle Robert

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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