Critique – Opéra-Classique

CAPRICCIO de Richard Strauss

Bonheur absolu d’une « Conversation en musique » modèle

CAPRICCIO de Richard Strauss

Bonheur des mots, bonheur des sons : Capriccio, de Richard Strauss ne ressemble à rien de connu dans le monde lyrique. «  Conversation en musique » précise son sous-titre. Et en effet le théâtre y est aussi présent que la musique, les deux versions (ou visions ?) d’un même art s’en disputent la primeur. « Prima la musica, poi le parole ! » ou l’inverse ? Voilà la question débattue dans une intrigue de salon où musique et parole se partagent la vedette.

Ce dernier opéra composé par Richard Strauss fut aussi le dernier opéra programmé par Hugues Gall directeur de l’Opéra National de Paris de 1995 à 2004. Un cadeau d’adieu qui n’a cessé de nous enchanter au gré de ses différentes reprises et de ses différents interprètes, des divas consacrées comme Renée Fleming aux nouveaux venus comme l’actuelle Emily Magee.

Toutes les subtilités de la mise en scène de Robert Carsen (voir WT 3427) sont devenues quasiment indissociables de l’œuvre et de son histoire, inscrite dans l’Histoire. Œuvre unique par son sujet, son écriture, sa composition et le destin de ses auteurs. Sur les affiches, dans les programmes on déchiffre, pour la musique le nom de Richard Strauss et pour le livret ceux du même Strauss et de Clemens Krauss, chef d’orchestre.

Il y manque l’initiateur de ce vagabondage à la fois mondain et spirituel entre musique et poésie : Stefan Zweig (1881-1942) en suggéra le sujet à Strauss devenu son ami et librettiste après la mort de Hugo von Hofmannsthal. Zweig, juif, pacifiste, était dans ces années vingt et début trente, l’auteur le plus populaire d’Allemagne. Sa «  Lettre d’une inconnue » battait des records. Après l’arrivée de Hitler en 1933 et l’antisémitisme forcené du régime nazi elle fut réduite en cendres au cours de cet autodafé consacré aux auteurs juifs. Pour Strauss, Zweig avait achevé le livret de la Femme Silencieuse. A sa création en 1934, les autorités exigèrent le retrait du nom de Zweig. Strauss refusa. La Femme silencieuse fut créée sous son appellation intacte pour trois représentations puis garda le silence jusqu’en 1946…

Pour Capriccio Zweig avait élaboré le scénario (inspiré d’une parodie d’opéra de Salieri) et commencé l’écriture du livret, il le poursuivit durant son exil à Londres et le séjour qu’il fit à Zurich pour y travailler avec Joseph Gregor, historien et librettiste, qui, au vu des circonstances, devait le signer. Cependant Strauss mit huit années à réaliser, peaufiner cette conversation poético-musicale, retravaillant lui-même le texte avec l’aide du chef d’orchestre Clemens Krauss. Sa création eut lieu en 1942 devant un parterre de dignitaires nazis. C’était année où fut décidée « la solution finale ». L’année où Stefan Zweig choisit de se donner la mort.

Une stratégie de mage

Dans une stratégie de mage, Robert Carsen, met en miroir toutes les pièces de ce puzzle aux résonnances parfois insaisissables. Miroir des lieux, théâtre dans le théâtre. Mais pas n’importe lequel : c’est bien le Palais Garnier qui se dénude sur scène, les références techniques de son plateau, sa profondeur qui semble sans limite, ses colonnes sculptées, ses lustres. Miroir de l’action et du temps de sa création : des costumes élégants aux détails piqués à la mode des années quarante, et, apparitions discrètes en fond de scènes d’officiers SS sanglés de noir. C’était hier, c’est ici, c’est maintenant et toujours : une belle musique sur un livret primaire n’atteindra jamais les sommets d’une musique mise au service d’un texte tracé à l’encre du génie. Comme celui de Capriccio.

En prélude à une soirée entre gens du beau monde, la comtesse offre l’exécution d’un sextuor à cordes. Elle hésite entre les ardeurs de Flamand, le compositeur et l’amour d’Olivier le poète. Lequel des deux sera apte à créer un chef d’œuvre ? On parle, on discourt, Lully, Rameau et Gluck résonnent en référence, le directeur du théâtre se prend pour l’organisateur suprême, le souffleur s’est endormi… rien ne sera tranché. La question se doit de rester sans réponse.

Si Emily Magee (interprète de nombreuses héroïnes de Strauss), n’a sans doute pas le magnétisme d’une Renée Fleming ni l’onctuosité de cette voix que sir Georg Solti avait baptisée « double-crème, elle impose une autorité de maîtresse de maison élégante et affable et une voix ample aux aigus arrondis. Moins comédienne que chanteuse, elle est plus à l’aise dans le répertoire chanté que dans les épisodes parlés, et fait de son grand air final Morgen Mittag um elf un sommet virtuosité et de grâce. Flamand, le compositeur, par le jeune ténor Benjamin Bernheim, mêle la suavité de son timbre à la franchise discrète de son jeu, son rival Olivier, l’homme de lettres carré dans ses idéaux, a les graves doucereux du baryton Lauri Vasar. Le comte par Wolfgang Koch étale son orgueil et son scepticisme. Extravagant, désopilant Lars Woldt en La Roche, le directeur de théâtre qui veut tout régenter, Clairon emphatique, comiquement infatuée par la mezzo Michaela Schuster qui, comme en 2012 déjà, la colore d’humour. Superbe duos à gags des chanteurs invités Chiara Skerath et Juan José de Léon, et, comme de tradition, un émouvant souffleur dont Graham Clark fait un patriarche ahuri. Gracieux intermèdes de la danseuse Camille de Bellefon et efficace et bien chantant peloton de serviteurs guidés par le majordome Jérôme Varnier.

Ingo Metzmacher fait bouillonner l’orchestre d’une énergie communicative : du souffle d’orage alterne avec des plages de nostalgies et rendent à Strauss ce qu’on lui doit : la grâce de son sextuor, la légèreté des citations, la profondeur des interrogations, les migrations des sentiments… un ensemble où parole et musique se fondent en une entité unique. Celle de la réalisation d’un chef d’œuvre dont on ne se lasse pas.

Capriccio de Richard Strauss, livret Richard Strauss et Clemens Krauss (d’après Stefan Zweig). Orchestre de l’Opéra National de Paris, direction Ingo Metzmacher, mise en scène Robert Carsen, décors Michal Levine, costumes Anthony Powell, lumières Robert Carsen et Peter Van Praet, chorégraphie Jean-Guillaume Bart. Avec Emily Magee, Wolfgang Koch, Benjamin Bernheim, Lauri Vasar, Lars Woldt, Michaela Schuster, Chiara Skerath, Juan José de Leon, Camille de Bellefon, Graham Clark, Jérôme Varnier et le peloton des huit serviteurs.

Palais Garnier, les 19, 25, 27, janvier, 3, 6, 10 février à 19h30, le 22 janvier à 20h30, le 14 février à 14h30

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 - www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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