Berlioz sur les monts les plus sauvages (2)
À La Côte-Saint-André, malgré l’air du temps, Berlioz se retrouve souvent en bonne compagnie. Celle de Beethoven, de Chopin et de Liszt par exemple, mais aussi de Tchaïkovski, et même de Saint-Saëns, dans le cadre des concerts donnés à 17h dans l’église située en contrebas du château Louis XI.
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- 4 septembre 2022
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LA GUERRE EN UKRAINE A EU RAISON d’une partie de l’édition 2022 du festival qu’accueille chaque année, dans la partie de l’édition 2022 du festival qu’accueille chaque année, dans la seconde quinzaine d’août, le petit bourg endormi de La Côte-Saint-André. Tchaïkovski, dont le pianiste Nicolas Stavy a interprété la Barcarolle extraite du cycle Les Saisons, et la mezzo Delphine Haidan une des Six Romances op. 6, est un rescapé de la programmation initiale, qui devait faire la part belle à l’héritage de Berlioz en Russie. Au cours du même concert donné le 27 août dans le cadre des rendez-vous de 17h, Pauline Viardot, dont on sait les liens qui l’attachaient à l’écrivain Ivan Tourgueniev, était aussi à l’honneur avec deux de ses mélodies : Dans les plaines de Géorgie et surtout Évocation, page violemment passionnée pourvue d’une section centrale d’une étrange douceur. On goûte par ailleurs la poésie apportée par Nicolas Stavy à l’accompagnement de La Captive jouée… dans la réduction effectuée par Stephen Heller de la version pour orchestre de cette mélodie. On citera aussi l’interprétation très personnelle donnée par le pianiste de la transcription par Liszt du lied de Schubert « Auf dem Wasser zu singen » : une course pleine de frénésie, que Nicolas Stavy justifie par le fait qu’il y voit davantage une paraphrase qu’une simple transcription. L’esprit d’une Méphisto-Valse planant sur les eaux de cette autre barcarolle ?
Parmi les rendez-vous donnés dans l’église Saint-André à 17h, mentionnons également le récital du pianiste François Chaplin, le 26 août, consacré à Chopin*, avec une Valse op. 69 n° 1, dite « de l’Adieu », jouée avec une étonnante fantaisie : Chopin, à l’instar de Schumann, serait-il le musicien des humeurs instables ? Mais aussi un autre récital de piano, consacré celui-ci à Mozart, donné le 29 août par Fabrizio Chiovetta, qui a permis d’entendre, outre trois sonates, la splendide Fantaisie en ut mineur K 475, abordée comme un vaste lamento, et le Rondo en la mineur K 511, d’une mélancolie suggérée. Sans oublier un très généreux concert donné par David Grimal, Anne Gastinel et Philippe Cassard au cours duquel furent joués trois trios de Beethoven dont le célèbre « Archiduc » que Berlioz aimait entre tous.
Ophélie et Stella
On s’attardera un peu plus sur le concert baptisé « Clairs de lune » (le 28 août), singulière alliance du Quatuor Béla, du contrebassiste Rémi Magnan et du Chœur Spirito dirigé par Nicole Corti. Un parcours à travers une quinzaine de pièces dues à des compositeurs français du XIXe siècle, du Veni creator de Berlioz à l’« Adieu des bergers » extrait de son Enfance du Christ, via d’autres pages du même Berlioz (Sara la baigneuse, La Mort d’Ophélie chantée comme un frisson et Prière du matin, qui prend une tout autre allure quand elle est abordée, comme ici, dans un tempo retenu), Les Djinns de Fauré, la « Ronde » de Ravel (extraite de ses Trois Chansons), des pages pour quatuor à cordes, etc., étoffant le programme. Le tout imaginé à la manière d’un parcours extrêmement construit : les voix chantant tantôt au fond de l’église, tantôt à l’extrémité du chœur, tantôt au premier plan, on aurait aimé que le public n’applaudisse pas après chaque pièce, laissant la fluidité prendre le pas. Outre la fougue des instrumentistes, il faut louer la finesse de la direction de Nicole Corti à la tête d’un ensemble d’où se dégagent par ailleurs les voix de Ségolène Bolard (dans Clair de lune de Fauré) et d’Alice Ungerer (dans l’autre Mort d’Ophélie : celle de Saint-Saëns). Ajoutons qu’un pareil programme, fait de compositions conçues pour des effectifs divers, exigeait bien sûr des arrangements (signés Gabriel Bourgoin et Frédéric Aurier).
L’un des plus séduisants de ces rendez-vous de 17h fut celui donné le 31 août par la flûtiste Silvia Careddu, membre de l’Orchestre national de France (qui interprétait le soir même, en clôture du festival, la Symphonie fantastique), et de la harpiste Alexandra Luiceanu. La Scène des Champs-Élysées de l’Orphée de Gluck, poignante et sublime à jamais, et bien sûr le Trio des jeunes Ismaélites extrait de L’Enfance du Christ (avec le renfort de Patrice Kirchhoff, lui aussi membre de l’Orchestre national) formaient l’ossature du programme. On connaît moins la vaste Fantaisie en la majeur de Saint-Saëns, qu’on aimerait presque intituler sonate. Voilà une page en plusieurs sections enchaînées, tour à tour lyrique et véhémente, qui fut composée en Italie en 1907, et jouée par nos deux interprètes avec quelque chose comme un souci de fusion, un esprit de duo presque vocal.
Ce concert s’achevait par une curiosité : L’Origine de la harpe, extraite du cycle Irlande de Berlioz, bien sûr sans les paroles. Cette mélodie est prévue pour voix et piano, mais la transcription due à Alexandra Luiceanu était ici tout à fait en situation : Berlioz aimait le son et la forme de la harpe, il en tire un effet saisissant dans La Harpe éolienne de Lélio (ce n’est qu’un exemple), et ce n’est pas un hasard s’il existe au musée de Grenoble une statue d’Henri Ding intitulée Stella montis, muse de Berlioz (1890) représentant une jeune femme nue jouant de cet instrument.
Illustration : Silvia Careddu et Alexandra Luiceanu (photo Bruno Moussier)
* Dont il vient d’enregistrer les 19 valses (contenant aussi les valses posthumes) chez Aparté (1 CD AP270).
Festival Berlioz. La Côte-Saint-André, du 18 au 31 août 2022 (www.festivalberlioz.com).