Berlioz l’architecte

François-Xavier Roth fait du Te Deum de Berlioz l’âme de ce grand corps qu’est la Philharmonie de Paris.

Berlioz l'architecte

Dans le cadre d’un week-end consacré aux musiciens amateurs (alternative habile pour contourner l’épuisant pensum appelé Fête de la musique), la Philharmonie de Paris a eu la bonne idée de faire travailler plus de deux cents enfants venus de collèges de l’est de Paris et de Seine-Saint-Denis afin de préparer le Te Deum de Berlioz, joué le 20 juin dernier. Ces enfants, auxquels il faut ajouter les jeunes chanteurs aguerris de la Maîtrise de Radio France et d’une maîtrise venue de Singapour*, étaient placés sous la houlette de Sofi Jeannin, directrice musicale de la Maîtrise de Radio France. A cet ensemble s’ajoutaient encore Les Cris de Paris et différents ensembles vocaux d’adultes, entraînés par Michel Tranchant, et bien sûr un vaste orchestre réunissant Les Siècles et le Jeune orchestre européen Hector Berlioz (orchestre-académie du Festival Berlioz de La Côte-Saint-André**), l’ensemble étant dirigé par François Xavier Roth.

Le soin nécessaire

Chaque œuvre de Berlioz crée sa propre forme et exige donc des soins particuliers. Seul un chef ayant longuement réfléchi à la question peut aborder cette musique, qui jamais ne pourra se satisfaire d’une interprétation de routine, comme l’a hélas montré le laborieux Requiem dirigé par Tugan Sokhiev le 6 février dernier dans le même lieu, comme l’a montré a contrario le lumineux Roméo et Juliette emmené par François-Xavier Roth, toujours dans le même lieu, quelques semaines plus tard. Berlioz a mis à l’honneur en 1841 le mot festival  : il convient tout simplement de monter ses œuvres à chaque fois dans les conditions d’un festival.

Longuement préparé, ce Te Deum a réussi à occuper l’espace et le volume de la Philharmonie, les nombreux chœurs étant installés derrière l’orchestre et celui-ci largement déployé sur la scène, avec ses contrebasses en ligne tout au fond et ses violons situés de part et d’autre du chef, l’orgue (un instrument positif amplifié, malheureusement, en attendant l’inauguration de l’instrument de la Philharmonie en octobre prochain) étant joué par Daniel Roth, le père du chef d’orchestre.

Éclats multiples

Dès le premier accord, on a su à quelle majesté, à quelle plénitude sonore allait atteindre ce Te Deum. Une plénitude et une majesté qu’à vrai dire on attendait de la part d’un chef de la trempe de François-Xavier Roth, mais qui ne sont pas si fréquents dans ce répertoire, on l’a dit, lequel exige des interprètes d’exception. Précision des attaques, largeur des tempos, ferveur des chœurs et des voix d’enfants jusqu’à ce « speravi » clamé à pleines poitrines dans le « Judex crederis » final, clarté des timbres instrumentaux, formidable puissance des crescendos, ce Te Deum donnait réellement l’impression d’une architecture en mouvement. On aurait aimé que le ténor solo Jean-François Borras, dans le « Te ergo », ait un peu moins le nez dans sa partition et s’envole avec l’orchestre, mais le timbre et l’intention y étaient.

Une précision sur la partition : François-Xavier Roth avait choisi de jouer les six mouvements avec voix, sans leur adjoindre le Prélude (qui figure sur le manuscrit mais n’a pas été publié), en leur ajoutant cependant la « Marche pour la présentation des drapeaux » avec huit harpes qu’on entendait malheureusement peu. Cette page, théoriquement réservée aux circonstances solennelles, était ici jouée entre le troisième et le quatrième mouvement : une marche d’une pompe spectaculaire, dans le sens vrai de ce mot qu’emploie Berlioz dans ses Mémoires pour qualifier l’éclat du spectacle qu’il découvrit à l’Opéra un soir où l’on donnait Les Danaïdes de Salieri.

* La manifestation était également organisée dans le cadre du festival « Singapour en France » qui se poursuit jusqu’au 30 juin (www.singapour-lefestival.com).
** Le même chef, une partie des mêmes chanteurs et de nombreux choristes du Dauphiné joueront le même Te Deum le 21 août prochain, au Théâtre antique de Vienne (www.festivalberlioz.com).

illustration : Berlioz dirigeant son Te Deum vu par Granville

Berlioz : Te Deum. Jean-François Borras, ténor ; Daniel Roth, orgue ; Maîtrise de Radio France, Chœur d’enfants de Singapour, Chœur d’enfants de collèges de Seine-Saint-Denis et de Paris, Les Cris de Paris, Chœur de la Philharmonie du Coge (Grandes écoles), Ensemble vocal Stella Maris, Ensemble vocal Otrente, Les Siècles, Jeune Orchestre européen Hector Berlioz, dir. François-Xavier Roth. Philharmonie de Paris, 20 juin 2015.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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