Baal de Bertolt Brecht

En pleine distanciation

Baal de Bertolt Brecht

Mettre en scène « Baal », première pièce écrite par Brecht à 19 ans, n’est pas des plus aisés. La pièce est forcément touffue, trop pleine peut-être. Le choix fait par Armel Roussel est, à première vue, de nous mettre en présence d’une composante essentielle de la conception dramatique de l’écrivain : la distanciation.

Le texte tourne autour d’un jeune homme avide de gloire, préoccupé essentiellement par lui-même, qui s’avère un monstre d’’égoïsme. Cela aurait pu être une comédie dramatique pleine d’émotions et de sentiments. Mais Brecht ne s’est pas focalisé sur la psychologie du personnage et de son entourage. Il ne cherche pas à étaler des états d’âme, ni à s’étendre sur tout qui est émotif tant du coté du bourreau que celui de ses victimes.

Le comportement de Baal est étalé de l’une à l’autre des vingt-huit séquences. La bêtise ou la naïveté des autres est décrite à travers leurs réactions. Tout se passe en échanges de paroles. Il n’y a nulle dramatisation, voire mélodramatisation au sujet de ce qui se déroule devant nous. Face à une telle situation, nos médias auraient sans nul doute enfoncé le pied sur une accumulation des émois suscités en vue de provoquer le dégoût, la réprobation envers le manipulateur ou de déclencher quelque commisération à propos des victimes. La mort elle-même du profiteur n’est auréolée d’aucun pathos, d’aucun trémolo. Elle survient. Point. Même s’ajoute en final une sorte d’énumération vaguement moralisatrice.

Entre représentation et réel

Les comédiens sont à valeur quasi égale. Bien sûr le rôle titre est omniprésent. Les autres sont d’abord des protagonistes utilitaires. En toute cohérence, ils jouent sans verser dans la caricature appuyée. Pas davantage dans l’expression des chagrins, des dépits. Impossible pour les spectateurs de se laisser aller à une quelconque identification positive ou négative. Comme le souhaitait Brecht.

Ce refus du réalisme est contrecarré par la scénographie. Par sa présence, une sorte de DJ qui orchestre en permanence les effets musicaux et sonores mais intervient parfois sur le plateau, établit la transition. Le décor indique un lieu très précis : un bar chic aux détails plus vrais que nature, prolongé par de multiples petites tables derrière lesquelles s’installer afin de boire, bavarder, badiner. Ce côté hyperréaliste se modifie en fin de spectacle pour pénétrer brièvement dans les coulisses, puis pour suggérer une ouverture sur la ville environnante car le réel, il se trouve ailleurs que dans la salle.

Résultat, il convient d’assister à toute la représentation de manière un peu clinique par le regard et l’attention, de suivre des péripéties presque ordinaires, de suivre une évolution quasi prévisible, quitte à trouver cela un peu long par moments, d’évaluer la performance de chaque comédien. Avant de retourner dans la réalité de son quotidien.

En tournée :
08-12.11.2022 Théâtre du Nord Lille
17.11-02.12.2022 Théâtre Varia Bruxelles (Be)
02-23.06.2023 Théâtre de la Tempête Paris

Durée : 2h30
Dès 15 ans

Mise en scène : Arme Roussel
Distribution : Edson Anibal, Romain Cinter, Émilie Flamant, Pierre-Alexandre Lampert, Vincent Minne, Berdine Nusselder, Éva Papageorgiou, Anthony Ruotte, Lode Thiery, Uiko Watanabe
Traduction : Eloi Recoing (© L’Arche, 2017)
Collaboration dramaturgique : Jean-Gabriel Vidal
Scénographie : Clément Losson
Création lumière : Stéphane Babi Aubert
Création musique, son : Pierre-Alexandre Lampert
Création costumes : Odile Dubucq
Assistanat à la mise en scène – Production, diffusion : Alex Sartoretti
Direction technique : Yorrick Detroy
Régie lumières : Gwenaël Laroche
Régie plateau : Ondine Delaunois
Régie son : Arnaud Grenier
Directeur de production : Camille Grange
Responsable médiation culturelle : Romain Cinter
Attachée de presse : Patricia Lopez
Production : (e)utopia/Armel Roussel
Coproduction : Théâtre Varia (Bruxelles) ; Théâtre du Nord (Lille) ; La Coop asbl ; Shelter prod
Aide : Fédération Wallonie-Bruxelles-Service du théâtre ; Centre des Arts Scéniques
Soutien : ING ; tax-Shelter du gouvernement fédéral belge ; Wallonie-Bruxelles Théâtre-Danse.
Photo (c) Simon Gosselin

Comparer : version de Christine Letailleur : https://webtheatre.fr/Baal-de-Bertolt-Brecht
Ecouter : Arme Roussel : https://utopia2.be/baal-2022/

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre » (2006-2021)....

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