Critique – Opéra & Classique
BARKOUF OU UN CHIEN AU POUVOIR de Jacques OFFENBACH
Vive l’imagination, le surréalisme et la complexité !
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- 18 décembre 2018
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Barkouf ou un chien au pouvoir vit le jour à l’Opéra-Comique de Paris en 1860. Jacques Offenbach le baptisa « opéra-bouffe » -et non pas « opéra-comique »- sans doute à cause du mordant de ses dialogues ainsi que de l’absurdité voire du surréalisme de la pièce.
Au moment de sa sortie, le Second Empire bien-pensant n’aimait guère les multiples allusions à caractère politique et social de l’opéra et donc, la censure obligea les librettistes Eugène Scribe et d’Henri Boisseaux à adoucir quelque peu leurs textes : « le roi » devint « le gouverneur » et les exigences de réduction des impôts devinrent moins fréquentes et plus modérées sur scène. Cependant, le fait que la censure n’ait pas modifié le titre de l’opéra, montre en définitive, qu’elle ne fut pas si sévère.
L’histoire de Barkouf : la complexité avant tout.
Dans le turbulent pays de Lahore, totalement imaginaire, le peuple vient de défenestrer le gouverneur. Le Grand-Mogol, fâché et fatigué des incessantes rébellions, nomme le chien Barkouf nouveau gouverneur. La jeune bouquetière Maïma, ancienne maîtresse du chien, fait croire à Bababeck, le Grand Vizir, qu’elle, et seulement elle, peut communiquer avec Barkouf. Moyennant ce stratagème et parlant au nom du chien, elle réussit à faire supprimer tous les impôts du pays et à faire réhabiliter les anarchistes qui pullulent dans le royaume, tel Xaïloum, l’amoureux de son amie Balkis. D’autres entourloupes viennent embrouiller la situation entre Maïma et son amoureux Saëb, un bel officier de la garde, convoité à son tour par Périzade, la fille de Bababeck le Grand Vizir. Plus tard, lorsque les tartares attaquent le royaume, c’est Barkouf lui-même en première ligne, qui réussit à les vaincre au prix de sa vie. Le Grand-Mogol à son retour, nomme l’officier Saëb, nouveau gouverneur. Il épousera Maïma au grand dam de Bababeck et de sa fille Périzade.
Le travail en finesse de Mariame Clément
Mariame Clément a été confrontée à la reprise de cet opéra sans disposer du conseil du compositeur, et pour cause, comme on le fait d’habitude lors de la création d’une nouvelle œuvre. Elle n’a pas pu s’appuyer non plus sur d’autres mises en scène, car l’opéra-bouffe de Jacques Offenbach disparut très rapidement des affiches pour différentes raisons : le succès de son auteur à l’étranger avait suscité des jalousies, des changements incessants de chanteurs lors des premières représentations furent nécessaires, et la presse fut très hostile à son égard (Hector Berlioz traita même le compositeur de « simple amateur »). La directrice de scène a aussi réécrit les copieux dialogues parlés. Curieusement elle n’a pas fait trop allusion à l’actualité politique du pays, très chargée en ce moment. Dans l’ensemble elle a bien réussi son travail avec l’aide efficace de Julia Hansen pour les décors et les costumes. Sa mise en scène a plongé le spectateur dans un monde certes irréel et profondément symbolique, mais aussi très bien en accord avec les textes. Elle a rendu l’histoire facile à interpréter malgré la quantité considérable d’acteurs sur scène et les nombreux retournements de situation imaginés par les librettistes.
La partition ressuscitée.
La résurrection musicale de Barkouf aura été un des principaux atouts de la production. C’est le musicologue Jean-Christophe Keck qui s’est attelé à la tâche en puisant tout d’abord dans le manuscrit autographe de la pièce, trouvé dans les archives de la famille du compositeur. Il a ensuite complété le dossier avec des pages provenant d’autres collections. L’orchestre symphonique de Mulhouse dirigée par Jacques Lacombe a rendu honneur à ce travail de recherche. La fosse a fait ressortir à la perfection les nuances sentimentales et humoristiques -pour faire court- de la riche musique du maître Offenbach. Le chef canadien a mis en valeur les capacités vocales des chanteurs, en particulier lors du difficile exercice qui consiste à passer des passages chantés aux moments parlés. Il a également permis au chœur de l’opéra du Rhin -très bien préparé par Alessandro Zuppardo- de s’exprimer vocalement et dramatiquement.
Rodolphe Briand : héros de la soirée sur scène.
Les artistes sur scène, très jeunes pour la plupart, ont eu l’immense chance de compter sur l’appui dramatique de Rodolphe Briand dans le rôle de Bababeck, le Grand Vizir, un personnage qui demande le savoir-faire d’un acteur très expérimenté dans la spécialité. Le ténor–comédien (ou le comédien-chanteur) a exécuté sa part avec la maestria qu’on lui connait. Sa seule présence remplissait la scène, son assurance dramatique et sa maestria dans l’art du récitatif, indispensables pour le rôle, ont attiré l’attention sur lui, gommant de facto les petites imperfections des uns et des autres.
Nicolas Cavallier s’est bien distingué dans le modeste rôle du Grand Mogol contribuant ainsi à augmenter la confiance des chanteurs sur scène. Le public a apprécié très justement les performances vocales du ténor Patrick Kabongo -Saëb- qui possède une émission d’une grande pureté, une diction parfaite et un timbre bien reconnaissable. Pauline Texier a été une Maïma sensible mais aussi très courageuse lorsque la situation le demandait. Le couple formé par Fleur Barron –Balkis- et Stefan Sbonnik –Xaïloum- a été fortement applaudi. Loïc Félix a été un Kaluboul convaincant et Anaïs Yvoz a traduit à la perfection les sentiments d’amour et de dépit de Périzade, la fille de Babebeck, la fiancée délaissée par Saëb.
« Barkouf ou un chien au pouvoir » Opéra-bouffe en trois actes de Jacques OFFENBACH. Livret d’Eugène Scribe et d’Henri Boisseaux. Coproduction Onr et l’Oper Köln. Mise en scène de Mariame Clément. Décors et costumes de Julia Hansen. Chœurs de l’Opéra national du Rhin. Orchestre symphonique de Mulhouse. Direction musicale Jacques Lacombe. Chanteurs : Rodolphe Briand, Nicolas Cavallier, Patrick Kabongo, Loïc Félix, Stefan Sbonnik, Pauline Texier, Fleur Barron, Anaïs Yvoz, et autres.
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Photos Klara Beck