Opéra de Flandre - Anvers - jusqu’au15 octobre 2011

Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny/Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny de Kurt Weill et Bertolt Brecht

Classé X

Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny/Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny de Kurt Weill et Bertolt Brecht

Prémonitoire et provocatrice, la très singulière œuvre musicale imaginée et composée par le dramaturge Bertolt Brecht et le compositeur Kurt Weill à la fin des années vingt du vingtième siècle, alors qu’ils n’avaient pas trente ans d’âge, fascine toujours. Sa création à Leipzig en 1930 se solda, on le sait, par un scandale. Les deux auteurs avaient sans doute vu trop juste en assimilant la débauche et le tout permis à une société de consommation sans foi ni loi. Autodestructrice en quelque sorte.

C’est l’histoire de trois bûcherons de l’Alaska, repris de justice en cavale, qui, à défaut de trouver un refuge, bâtissent sur le sable de leurs illusions, une ville piège où seul compte le pouvoir de l’argent. La prostitution, l’alcool et le jeu en sont les uniques rouages. Représenter ce monde immonde en lui gardant sa distance – un grand principe brechtien – et en le dotant de sarcasme, d’humour, voire de poésie, reste un défi. Il y a un an, au Capitole de Toulouse, Laurent Pelly le releva avec un certain panache (voir webthea du 23 novembre 2010). A Gand en Belgique, puis à Anvers, le metteur en scène catalan Calixto Bieito, connu pour son radicalisme, a préféré l’outrance. Un point de vue qui éclipse tout sens politique à l’œuvre, un sens qui pourtant en fait fondamentalement battre le pouls. Weill et Brecht étaient des hommes à la fois engagés et visionnaires.

Quand l’excès tue la représentation de l’excès

Bieito s’en tient à la visibilité directe de la débauche engendrée par les principes du tout permis et l’étale avec une sorte de délectation morbide. Quand l’excès tue la représentation de l’excès, on n’est plus au théâtre, ni dans une aucune œuvre d’art… Les excès de Bieito sont tels que la direction de l’institution a cru devoir mettre en garde ses spectateurs par cet avertissement : « cette production comprend des scènes d’une extrême violence et de sexualité explicite. Elle ne convient pas aux enfants et aux jeunes de moins de 16 ans ». On aimerait en rire si le résultat sur scène n’était pas aussi triste.

All you can eat, all you can drink, all you can fuck (tout ce que vous pouvez manger, boire et baiser) : l’invitation s’inscrit en lettres de néon. On y baise à tout va, par devant et par derrière, debout, assis, couché, on s’y masturbe en rythme, on y pète, on y rote, on y pisse, on y fellationne, on y défèque et on y vomit même en direct. Les filles exhibent des nudités variées et vont jusqu’à les promener dans la salle entre les rangs de spectateurs plus effarés qu’émoustillés, les garçons baissent culottes et dévoilent des pénis apparemment fatigués. Costumes et accessoires criards de plastique et de plastoc et accumulations de poncifs dénonçant la société de consommation : l’outrance est telle qu’on ne regarde même plus le décor pourtant impressionnant de l’Hôtel du Nouveau Riche fait de caravanes, camping cars et autre mobil-homes superposés, ni les éclairages sophistiqués. Pire : on écoute à peine la musique pourtant fort bien défendue.

Une musique hybride où se mêlent et se télescopent les tendances nées dans ces années vingt et trente d’entre deux guerres, l’atonalité, le jazz et les rengaines populaires s’y fondent en cadences syncopées. Quelques grands airs ont fait le tour du monde et restent ancrés dans les mémoires. Le fameux Alabama Song que Weill composa spécialement pour son épouse Lotte Lenya, ou cet avertissement « moral » : wie man sich bettet so liegt man – comme on fait son lit on se couche…

Noëmi Nadelmann, canaille voluptueuse

Le chef Yannis Pouspourikas dirige avec doigté l’Orchestre de l’Opéra de Flandre et réussit à se faire entendre par delà l’avalanche d’images hard. Belle distribution et chanteurs-acteurs fort bien menés par Bieito meilleur directeur d’acteurs que concepteur. Leandra Overmann aux aigus pointus en fait des tonnes en Leocadia Begbick la mère maquerelle, le truand Moïse-la-Trinité devient, on ne sait par trop pourquoi, déguisé en cardinal mais trouve en Claudio Otelli un très onctueux interprète, le ténor anglais John Daszak enfile pour la première fois les roulements de mécanique du séducteur dur à cuire Jim Mahoney. Noëmi Nadelmann sort gagnante du rôle de Jenny, voix de soprano fruitée capable de se teinter de gouaille, présence à la fois aguichante et pathétique, elle ressuscite, en canaille voluptueuse, le mythique Alabama Song.

Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny/Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny de Kurt Weill, livret de Bertolt Brecht. Orchestre du Vlaamse Opera/Opéra de Flandre direction Yannis Pouspourikas, choeur de l’Opéra de Flandre, direction Graham Cox. Mise en scène Calixto Bieito, décors Rebecca Ringst, costumes Ingo Krügler, lumières Franck Evin. Avec Noëmi Nadelmann, Leandra Overmann, Erin Caves, Claudio Otelli, John Daszak, Gijs Van der Linden, William Berger, Jaco Huijpen et le comédien Guntbert Warms .

Vlaamse Opera/Opéra de Flandre. A Gand, les 21, 23, 25 & 27 septembre, à Anvers les 5, 7, 9, 11, 13, 15 octobre à 20h

+32 70 22 02 02

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook