Ariodante aux Champs-Élysées

L’opéra seria de Haendel atteint à une incandescence maîtrisée grâce à l’art de Joyce DiDonato (Théâtre des Champs-Élysées, 23 mai 2011).

Ariodante aux Champs-Élysées

On peut légitimement préférer la forme de la tragédie lyrique, telle que l’illustra par exemple Rameau, à celle de l’opéra seria, que magnifia un Haendel. Le premier télescope les airs, les ensembles, les chœurs, les intermèdes, les ballets, les récitatifs secs ou accompagnés ; le second se contente d’enchaîner les arias (da capo qui plus est, c’est-à-dire avec retour, après la section centrale, de la première section) par des récitatifs.

Mais Haendel, précisément, a senti la monotonie que pouvait engendrer pareille structure, et a parfois choisi d’en altérer le régulier ordonnancement.

C’est le cas dans Ariodante par exemple, créé en 1735 à Covent Garden sur un livret anonyme inspiré de l’Orlando furioso de l’Arioste. Quelques modestes duos, quelques airs de danse permettent d’altérer ce que la forme peut avoir de contraignant. La fin du deuxième acte, également, étonne : Ginevra perd la raison (« Il mio crudel martoro ») mais tout à coup son air, très développé, reste en suspens ; arrivent alors plusieurs airs de danse, et l’acte se conclut sur quelques mots de l’héroïne.

Mais, sur cette intrigue que certains ont qualifiée de racinienne (Lurciano aime Dalinda qui aime Polinesso qui aime Ginevra qui aime Ariodante), c’est bien sûr aux airs que Haendel a confié tout son génie. Et seule une distribution hors pair peut emmener ce type d’ouvrage au triomphe.

L’une beaucoup et l’autre moins

Était-elle réunie au Théâtre des Champs-Élysées ? En grande partie, oui. A la légèreté de Sabina Puértolas (Dalinda), au timbre clair et sonore de Nicholas Phan (Lurciano), à l’autorité de Matthew Brook (le Roi, auquel il manque cependant un timbre rond et profond) répondent la belle projection de Karina Gauvin (Ginevra), malgré quelques aigus tirés et quelques vocalises un peu artificielles, c’est-à-dire abordées comme si elles n’appartenaient pas à la ligne de chant elle-même. Mais on aurait mauvaise grâce à se crisper sur les détails, d’autant que Marie-Nicole Lemieux, elle, dans le rôle du méchant Polinesso, nous fait tout autrement réagir. On connaît la nature de cette chanteuse, sa faconde, sa présence. Mais quand l’interprète poitrine et détimbre, quand les effets sont soulignés par les yeux et le corps, quand la démonstration devient exhibition (airs « Spero per voi », « Se l’inganno sortisce felice »), quand l’interprète tire la tragédie jusqu’à la parodie, on en est presque à demander grâce.

La grande victorieuse de la soirée est Joyce DiDonato, qui aborde le rôle d’Ariodante avec un mélange de hauteur et de feu qui donne à son chant autant qu’à son personnage une dimension concentrée, accomplie. Ariodante passe du bonheur simple à la fureur à l’abattement (magnifique « Scherza infida ») et à la joie retrouvée, dans l’envol d’un chant qu’on aimerait qualifier de magnanime, tant jamais il ne pèse. Les ornements à foison qui émaillent ses airs, jusqu’au dernier (« Dopo notte »), exercice d’une frénésie contrôlée, font corps avec la musique elle-même, redonnant à l’art sa signification profonde de plaisir et de gratuité.

On aurait aimé plus de folie de la part d’Il complesso barocco, l’ensemble instrumental que dirige un peu trop placidement Alan Curtis (avec toutefois un poignant basson mélancolique), mais il est vrai que l’orchestre de Haendel, ici, soutient et entraîne et n’a pas pour vocation première de briller par ses couleurs. Tout ici est dans l’art des chanteurs, notamment d’une DiDonato rayonnante qui, aurait dit Rameau, sait cacher l’art par l’art même.

Christian Wasselin

Haendel : Ariodante. Avec Joyce DiDonato (Ariodante), Marie-Nicole Lemieux (Polinesso), Karina Gauvin (Ginevra), Sabina Puértolas (Dalinda), Nicholas Phan (Lurciano), Matthew Brook (Le Roi), Paolo Borgonovo (Odoardo). Il complesso barocco, dir. Alan Curtis.

Photo : Joyce DiDonato (crédit : Marty Umans)

A écouter : l’enregistrement effectué par les mêmes interprètes (3 CD Virgin Classics 5099907084423).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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