Aragon ou le Mentir-Vrai d’Alain Bonneval
Les visages multiples du fou d’Elsa
Aragon ne disparaît pas dans la nuit qui engloutit les gloires d’un temps donné. Il a beau s’être agrippé aux grandes années d’un communisme longtemps stalinien, il surgit toujours en poète seul, sans avoir besoin d’Elsa ou de l’appareil de l’ancien PCF, et brille à la fois de la pureté simple de ses textes et de l’ambiguïté complexe de la vie telle qu’il la pratiqua. Alain Bonneval, qui lui consacre un beau récital donné quelques soirs à Paris (après être passé par l’Avignon off de cet été), s’est attaché à ces ambivalences, en reprenant le titre du Mentir-Vrai : tout est réécriture de la réalité, et tout est en même temps mise à nu de ce qui est.
Bonneval est parvenu à brosser, sur l’espace d’une grande heure, un tableau quasi complet. Ne manque guère que le romancier, tout juste évoqué (c’est vrai que les romans d’Aragon se lisent moins, mais Aurélien, quel chef-d’oeuvre ! ). Car l’enfant illégitime au bulletin d’état-civil falsifié, le surréaliste, le jeune homme aux limites de l’homosexualité dans son amitié avec Drieu La Rochelle, le fou d’Elsa, le militant, le chantre de la Résistance, le directeur des Lettres françaises (avec l’affaire du fameux portrait de Staline par Picasso, qui choqua tous les apparatchiks), le communiste qui dénonce tardivement les dérives de l’armée rouge, l’homme âgé qui se moque des convenances et affiche sa relation amoureuse avec un jeune poète (Jean Ristat), tout y est, dans un spectacle parlé et chanté, sinueux, fait d’accélarations, de ruptures et d’émotions suspendues. Chacun des acteurs, Alain Bonneval lui-même, Brigitte Deruy, Bernard Leblanc et même l’accordéonniste Dominique Legrix (il pianote mais il parle aussi), se passent les textes, comme pour les partager tout en faisant varier les résonances selon les sensiblités de chaque diseur. On sent bien que tous ont des vibrations fortes avec les secrets de ces mots et de ces notes (le plus souvent du grand Ferré) ; il savent les projeter comme autant de trésors littéraires qui, en nous, vibrent de leur interprétation discrètement passionnée et des secousses cardiaques qu’ils suscitent en chacun de nous.
Aragon ou le Mentir-Vrai, texte original et montage d’ Alain Bonneval (à partir des textes, poèmes et chansons de Louis Aragon, musiques de Léo Ferré, Hélène Martin, Jean Ferrat, Francis Poulenc, Georges Brassens), vidéo de Chloé Bazaud, avec Alain Bonneval, Brigitte Deruy, Bernard Leblanc, et Dominique Legrix, dit Le Marquis, à l’accordéon.
Théâtre du Nord-Ouest, tél. : 01 47 70 32 75 , les 17 septembre à 20 h 45 et 29 septembre à 19 h. (Durée : 1 h 15).
Photo Chloé Bazaud.