Paris, La Comédie-Française

Andromaque de Jean Racine

Eloge de la lenteur

Andromaque de Jean Racine

S’affranchissant résolument de la tradition qui fait résonner la scène des cris de la passion et des conflits raciniens, Muriel Mayette a cherché à faire surgir sa mise en scène des mots mêmes. Elle défend son point de vue selon lequel le théâtre de Racine « n’est pas actif, c’est un théâtre de la pensée intérieure, du lapsus, un cri étouffé en musique ». Elle va au bout du parti pris en accomplissant avec les comédiens un travail admirable sur la diction et le rythme, en partant du principe que « la tragédie est un art de l’affirmation ». Tous pris dans les rets de leurs contradictions, ils se livrent à de douloureux débats intérieurs entre chantage et culpabilité. Tous exsangues à la suite de la guerre de Troie, ils ne s’en déchirent pas moins pour des questions d’amour et de pouvoir. Pyrrhus (Eric Ruf à la fois imposant guerrier et faible amoureux) est sorti vainqueur de la guerre, il aime Andromaque (Cécile Brune, drapée dans sa douleur) dont il a tué l’époux adoré, Hector, est aimé par Hermione (la vibrante Léonie Simaga), la fille d’Hélène (cause de la guerre de Troie), elle-même aimée par Oreste (Clément Hervieu-Léger) qu’elle n’aime pas. Les confidents, comme toujours, sont les vigies de ces âmes égarées : Suliane Brahim est la palpitante Cléone, Céline Samie joue la volontaire Céphise et Aurélien Recoing est Pylade, l’ami inconditionnel d’Oreste.

Ces passions, par définition jamais réciproques, deviennent l’enjeu morbide de chantages effrayants, au nom de l’honneur, en fait au nom du dépit amoureux. C’est chez Pyrrhus que le manège est le plus clair et le plus sordide puisqu’il use de son pouvoir pour faire plier Andromaque fidèle au souvenir d’Hector en prenant son enfant en otage et en menaçant de le livrer aux Grecs si elle ne cède pas. Si elle cède, il jure de l’aimer comme un père. Les actions et les décisions sont brutales, mais le discours se fait d’un grand raffinement, conduisant à un véritable choc entre la barbarie des conduites et la délicatesse de la langue qui rehausse et l’un et l’autre. On s’extasie sur la langue de Racine, ici servie admirablement puisque la mise en scène s’efface pour lui accorder tout l’espace mental et réel mais pourtant on peine à adhérer à cette désincarnation qui finalement manque de théâtralité ou plutôt induit un artifice pesant.
La scène est barrée de haute et écrasantes colonnes grecques au pied desquels les personnages apparaissent tout de grande fragilité Les acteurs jouent dans une immobilité hiératique de statue dont ils empruntent jusqu’aux costumes à l’antique, couleur de marbre, accompagnés par le chant grave du violoncelle, dans une lumière le plus souvent sépulcrale. La mise en scène ose la lenteur et l’économie des mouvements, chargeant de sens chaque rare geste. Un parti pris courageux, admirablement servi par les acteurs, qui, s’il ne donne pas tout à fait le résultat escompté, est digne du plus grand intérêt.

Andromaque de Jean Racine mise en scène Muriel Mayette, scnéographie et lumières, Yves Bernard, Costumes, Virginie Merlin, Musique Arthur Besson. Avec Cécile Brune, Eric Ruf, Céline Samie, Léonie Simaga, Clément Hervieu-Léger, Stéphane Varupenne, Suliane Brahim et Julie-Marie Parmentier en alternance, Aurélien Recoing. A la Comédie-Française jusqu’au 14 février à 20h30. Durée : 2h. Tel : 0825 10 16 80.
www.comediefrancaise.fr

Photo Christophe Raynaud de Lage

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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