Anvers en Belgique jusqu’au 9 juillet 2011

Aida de Giuseppe Verdi

Aida sur le divan

Aida de Giuseppe Verdi

« Mon Orient », le thème qu’Aviel Cahn, directeur du Vlaamse Opera - Opéra de Flandre avait choisi pour sa saison 2010-2011 en clôt le cycle avec une Aida, dépouillée du folklore pharaonique qui généralement en éclipse la portée intime. Les trompettes de la marche triomphale sont dans toutes les oreilles, on attend les éléphants et les dromadaires de l’armée victorieuse qui rejettent au second plan l’enjeu amoureux qui palpite dans la musique de Verdi : celui un homme aimé de deux femmes, un valeureux guerrier, une reine, une prisonnière devenue son esclave, ou plutôt, en langage contemporain, sa domestique. L’Aida vue à Anvers inverse la donne traditionnelle.

En 1869 le khédive (vice-roi) d’Egypte avait commandé à Verdi, alors en pleine gloire, un hymne pour ouvrir les festivités de l’ouverture du canal de Suez. Verdi renâcle, ce type de projet n’entre pas dans ses préoccupations du moment. Du côté de Memphis, on insiste. L’égyptologue Auguste Mariette s’en mêle avec la complicité de Camille du Locle. Leur idée finit par convaincre le compositeur. Aida naît deux ans plus tard sur les planches du nouvel opéra du Caire. Un lieu intime, pour lequel Verdi compose une musique sensuelle qu’encadrent quelques effets à grand spectacle. Ces derniers en font la gloire au détriment souvent de l’essentiel.

La production présentée à Gand et à Anvers, les deux salles de la maison d’opéra flamande, a 17 ans d’âge. Peter Konwitschny, 66 ans dont 40 au service du théâtre, actuellement directeur de l’Opéra de Leipzig, vedette dans son pays mais peu connu en France, signe cette Aida en psychanalyse qui fut créée à Graz en Autriche puis jouée un peu partout en Suisse, en Allemagne, en Autriche, mettant chaque fois le public en état de de division. Le phénomène ne manqua pas de se reproduire à Anvers, divisant les pros et les antis, alimentant en tout cas les discussions.

Une intimité de type radical

L’intimité revendiquée par Konwitschny est, il est vrai, de type radical : un espace en huis clos glacé, une boîte formée de carreaux blancs géants où trône pour seul meuble et accessoire un divan recouvert d’une couverture de velours rouge. Les costumes sont d’aujourd’hui, complet blanc et cravate noire pour Radamès, puis uniforme du même style, Ramfis, le grand prêtre a droit à une tunique noire boutonnée à la mode indienne, la royale Amnéris se déhanche en robes de bon couturier et Aida, sa captive, ne quitte pas d’un bout à l’autre de l’ouvrage sa petite robe noire à col blanc de femme de chambre de grand hôtel.

Pas d’armée en marche victorieuse, pas de ballets : les chœurs sont en coulisses, invisibles mais parfaitement audibles et sonnent justes. Les trompettes claironnent depuis les balcons… On est très loin des clichés et c’est ce qui fait l’intérêt du singulier parti pris. Car la musique de Verdi y trouve son intensité.

Un label "made in Germany"

Konwitschny est un remarquable directeur d’acteurs. Mais sa psychologie, celle qu’il confère aux personnages relève d’un mode de provocation purement germanique qui depuis plus de vingt ans pose un label « made in Germany » sur les productions de théâtre et d’opéra. Or Verdi est un latin authentique. Les débordements convulsifs si propres à ces mises en scène – régies – allemandes ont fait leur temps. Elles ne choquent plus, elles datent. L’introduction musicale du deuxième acte, à défaut d’illustration, sert de prétexte à Amnéris, amoureuse flouée, à un ballet de contorsions érotiques frisant le ridicule. La fête de la victoire devient une sorte de réveillon pour vainqueurs pochtronnés qui, couronnés de mini chapeaux en papier, se félicitent à coups champagne, confettis, serpentins, mirlitons et simulation de copulation. On est loin de fastes de Memphis, c’est plutôt l’ambiance d’une fête de la bière à la bavaroise.

La deuxième partie heureusement prend des couleurs. Sur les panneaux blancs du décor sont projetés des silhouettes de palmiers et même un bout de pyramide. Une certaine chaleur visuelle rejoint les brûlures de la musique. L’idée de la fin est inédite et… plutôt belle. Amnéris, anéantie, se roule aux pieds des amoureux condamnés à être enterrés vivants. Leur tombe s’ouvre sur le néant d’une ville, une vue mouvante en nocturne sur la place d’Anvers face au théâtre, ses couloirs, ses bus, ses enseignes lumineuses, les phares de sa circulation. Son indifférence.

Jeu habité et belles voix

L’intérêt reste vif, malgré ou peut-être à cause de ces excès, de ces détours et détournements finalement très cohérents. Le jeu est habité – même si la diction laisse à désirer – et les voix sont belles. Susanna Branchini, l’unique italienne des premiers rôles de la distribution, soprano au timbre généreux, incarne une Aida rebelle de rage et d’amour, avec ses graves voluptueux la mezzo russe Irina Makarova fait d’Amneris une femelle en chaleur, le Radamès du jeune ukrainien Misha Didyk est un timide à la voix claire, comme dépassé par les tourments qu’il provoque.

Dmitri Jurowski, jeune chef russe a la tache délicate de mettre l’orchestre au diapason des extrémismes de la mise en scène tout en rendant à Verdi ses couleurs. Il y parvient en ferveur, c’est presque une prouesse. On l’entendra à l’Opéra Bastille de Paris en janvier 2012 diriger un répertoire plus proche de ses racines, la Dame de Pique de Tchaïkovski.

Aida de Giuseppe Verdi, livret d’Antonio Ghislanzoni, orchestre symphonique et choeurs du Vlaamse Opera, direction Dmitri Jurowski, chef de chœur Yannis Pouspourikas, mise en scène Peter Konwitschny, décors Jörg Kossdorff, costumes Michaela Mayer-Michnay. Avec Susanna Branchini (en alternance avec Michele Capalbo), Misha Didyk (en alternance avec Mikhail Agafonov), Irina Makarova (en alternance avec Susanna Levonen) Riccardo Zanellato, Valery Alexeev (en alternance avec Werner van Mechelen) Danilo Rigosa, Gijs Van der Linden (en alternance avec Thorsten Büttner)

Vlaamse Opera Gand – du 21 au 26 juin 2012

Vlaamse Opera Anvers du 1er au 9 juillet 2012

0032 (0)70 :22 02 02 - www.vlaamseopera.be

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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