1300 grammes de Léonore Confino
Cortex mon amour
Léonore Confino a écrit une pièce sur le cerveau innervée comme cette substance spongieuse de 1300 grammes que nous avons dans la tête et qui nous permet indiscutablement d’éprouver des sensations, d’être ému et de penser. L’auteur de Ring et du Poisson belge trace différentes nervures qui se croisent et se recroisent, comme un filet ou comme le dessin des connexions du cortex. C’est un texte en réseaux, comme les objets d’aujourd’hui. En premier lieu, il y a en scène l’auteur elle-même (son double, évidemment, ici jouée par Bénédicte Choisnet, très bonne dans la traduction simultanée de l’angoisse et de l’humeur heureuse), qui tente d’écrire sa pièce sous nos yeux en se remémorant un lourd secret et que l’on voit dans son bureau, ou enquêtant auprès de spécialistes, ou même à l’hôpital (tant le sujet du cerveau lui joue des tours). Dans le même temps, un neurologue dialogue avec le public sur nos perceptions et nos comportements collectifs ; le directeur du théâtre qui doit accueillir la pièce s’inquiète du manuscrit qui ne vient pas et devient lui-même un personnage imaginaire d’une histoire parallèle sur le thème de la plasticité de notre machine à penser ; le délégué de la compagnie qui doit créer la pièce vient parler à ce directeur du texte en cours à la place de l’auteure donnée comme malade, mais il change le thème pour apaiser ce programmateur hostile à un sujet de pièce aussi difficile ; une femme aux allures de belle sorcière surgit régulièrement pour faire affleurer les notions troubles, comme le propre ou le sale, que les personnages voudraient laisser enfouies au fond de leurs neurones… Sous cet écheveau, que nous ne reconstituons qu’en partie, se déroule en fait une triple aventure : celle, évidente, de la vie du cerveau, placée de façon swinguée en pleine lumière, puis, au second plan, celle de l’erreur commise un jour qui vient empoisonner la vie mentale des années durant et celle de l’amour qui, comme notre activité psychique, l’emporte s’il suit des chemins complexes et imprévus.
Le scénario fonctionne donc à différents étages et trouve, en cours de route, sa représentation vidéo, avec la projection de toute une forêt de cellules sur des rideaux translucides. Voilà donc un dédale où l’on peut se perdre mais qui donne aux spectateurs à l’esprit joueur l’occasion d’effectuer le voyage théâtral le plus stimulant qui soit. Ils ne sont pas nombreux, les auteurs qui affrontent les mystères traqués par la science. Léonore Confino invente un périple neuronal avec une virtuosité stupéfiante. Le spectacle de Confino et Catherine Schaub - un metteur en scène, qui crée a vec brio une circulation de scènes hétérogènes, parfaitement construite sur les allers et retours et les effets de surprise - peut faire penser à ce que Peter Brook ou Simon McBurney ont fait naguère autour de quelques particularités mentales. Outre Bénédicte Choisnet, dont nous avons dit qu’elle était la très plaisante alter ego de Confino, les acteurs, Denis Sebbah (le délégué de la compagnie, dans la juste ébullition), Bruno Cadillon (tout en puissance comique dans le rôle du directeur de théâtre), Tessa Volkine (qui, en sorcière élégamment appelée Remugle, pousse loin la forte étrangeté de son jeu), Yvon Martin (qui, en jeune savant malicieux, a l’art de jongler avec le proche et le lointain) et le musicien Edouard Demanche savent se placer à cet endroit où la fantaisie et l’inquiétant se prennent le bras. Face à cette pièce et à cette équipe, impossible de ne pas se mettre à considérer sa propre vie repliée dans nos lobes et autres compartiments de la boîte crânienne et de faire face à des éléments qui y dormaient. Attention danger, attention plaisir. Le cortex court vers l’amour à qui sait s’en servir, nous dit Léonore Confino.
1300 grammes de Léonore Confino, mise en scène de Catherine Schaub, scénographie et costumes d’Anne Leverzant, lumières de Thierry Morin, vidéos de Mathias Delfau, musique de Thomas Bellorini, son d’Allan Hové, avec Bruno Cadillon, Bénédicte Choisnet, Yvon Martin, Denis Sebbah, Tessa Volkine et Edouard Demanche (batterie, piano, guitare).
Théâtre 13 – Seine, 20 h, tél. : 01 45 48 62 22, jusqu’au 3 mars. (Durée : 1 h 30). Texte chez Actes Sud Papiers.
Photo Guillaume Garcia.