Festival d’Aix-en-Provence 2024 (2)
Un Samson sensible
"Samson", d’après l’opéra perdu de Jean-Philippe Rameau, déroule les mésaventures du héros biblique vaincu par la chair.
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- 5 juillet
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On doit l’avouer, on est allé un peu à reculons au Théâtre de l’Archevêché voir et entendre Samson, que le programme du Festival d’Aix présentait comme une « libre création de Claus Guth et Raphaël Pichon d’après Samson, opéra perdu de Rameau et un livret censuré de Voltaire ». Même si l’on était rassuré par la présence du jeune chef bien connu et apprécié des scènes lyriques internationales, on craignait que le metteur en scène allemand ne profite des inconnues de cette œuvre disparue pour livrer du héros biblique une vision absconse dont il a le secret (dont une Bohème dans l’espace à l’Opéra Bastille, en 2017). Dès notre entrée à l’Archevêché, nos craintes se trouvaient confirmées par la vision glaçante d’un édifice en ruines avec sa toiture à demi effondrée et ses structures branlantes soutenues par des étais, qui seront l’unique décor du spectacle. Mais dès que se sont élevées les premières notes de musique on s’est trouvé rasséréné.
Cheminant péniblement entre les gravats d’un temple, une vieille dame apparaît. Elle se remémore le destin funeste de son fils, Samson, un nazir consacré et dévoué à Dieu, qui a failli dans sa mission de défendre le peuple hébreu. Le rôle parlé est tenu par la comédienne Andréa Ferréol, l’inoubliable actrice de La Grande Bouffe (1973). Elle conte avec émotion l’histoire de son fils, qui tient beaucoup de la légende, située en partie à Gaza. Elle reviendra par intermittences sur scène tout au long du spectacle pour évoquer en flash back les principales étapes de la descente aux enfers du rejeton doté d’une force surhumaine, à qui elle regrette d’avoir donné le jour.
Heroic fantasy
Sur une poutre haut placée défilent de manière également intermittente des sur-titres, textes tirés de la Bible, précisément du Livre des Juges, qui tiennent lieu de récitatifs. Textes lapidaires qui stigmatisent Samson, dont la force tient à la longueur de ses cheveux, et qui succombe par deux fois aux plaisirs de la chair. Qui plus est avec des femmes du clan ennemi, les Philistins qui asservissent le peuple hébreu. Et l’on s’accroche à ce spectacle assez prenant, où pendant près de trois heures se déroulent les péripéties du super-héros humain trop humain, comme des séquences de film d’heroic fantasy sur des flots de musique baroque, entrecoupées d’interludes où effets spéciaux visuels et sonores se déchaînent.
Ce scénario écrit par Claus Guth correspond-il à la réforme de l’art lyrique visée par Voltaire, quarante ans avant Gluck, tendant à un sublime lavé de toute fioriture ? On n’en est pas sûr. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le livret de la tragédie lyrique en cinq actes et un prologue composé par Jean-Philippe Rameau fut deux fois censuré (en 1734 et 1736) pour impiété, au terme d’une cabale menée par les jansénistes. Rameau, découragé, jeta l’éponge et ne publia pas sa partition, dont l’original a disparu. Mais, conformément à une habitude de l’époque, le compositeur en recycla la musique dans plusieurs ouvrages ultérieurs, notamment Les Indes galantes, Castor et Pollux et Les Fêtes d’Hébé.
Pour astucieux qu’il apparaisse, et malgré le talent des artistes sur scène et dans la fosse, le spectacle en forme de collage manque parfois de liant et s’apparente à un pot-pourri d’airs orchestraux et vocaux de Rameau. De plus, on déplore une complaisance dans la violence, notamment dans les séquences finales où Samson, privé de son pouvoir magique et énucléé par les Philistins, baigne dans son sang. Mais il retrouve sa force et commet un attentat-suicide en détruisant le temple des Philistins et lui-même dans un climax de barbarie. Cette violence scénique est toutefois contrebalancée par des belles images, savamment éclairées. Comme celle de l’ange descendant des cintres, venu annoncer à la Mère pourtant stérile la venue d’un fils, digne d’une Annonciation d’un peintre italien. Picturale également, la scène du mariage de Samson avec Timna, animée par de vibrionnants danseurs professionnels, au rythme endiablé d’une musique ensorcelante.
Arias fleuries
Le chef Raphaël Pichon mène avec l’ardeur et l’énergie qu’on lui connaît son Ensemble et Chœur Pygmalion, faisant sonner magnifiquement la musique de Rameau. Cette maîtrise des grands ensembles apparaît dès la grande marche funèbre qui ouvre l’opéra « Que tout gémisse… » (reprise dans Castor et Pollux). Sans pour autant négliger les arias fleuries qui parsèment l’opéra où les chanteurs peuvent déployer leur vocalité.
Deux artistes américains incarnent Samson et son amante Dalila sans écorcher la langue française. Le baryton américain Jarrett Ott avec sa silhouette massive, campe un Samson très crédible, au phrasé impeccable, émouvant notamment dans son grand air « Tristes apprêts, pâles flambeaux… » (repris dans Castor et Pollux). Pour sa part, la soprano Jacquelyn Stucker joue une Dalila qui, à force de séduction corporelle et vocale, réussit à arracher au grand benêt le secret de sa force. Ensemble, ils s’enroulent dans le très subtil duo « Je vous revois.. » (repris dans Les Fêtes d’Hébé). Dans le troisième grand rôle du spectacle, Timna, la première épouse de Samson, l’exquise Lea Desandre, venue de l’Académie du Festival, déroule son mezzo soyeux.
Photo Monika Rittershaus
Rameau : Samson, Théâtre de l’Archevêché, jusqu’au 18 juillet (https://festival-aix.com/fr)
Avec Jarrett Ott, Jacquelyn Stucker, Lea Desandre, Julie Roset, Nahuel di Pierro, Laurence Kilsby, Julie Roset, Antonin Rondepierre, Andréa Ferréol. Choeur et Orchestre Pygmalion. Direction et conception musicale : Raphaël Pichon. Mise en scène, scénographie : Claus Guth. Scénographie : Étienne Pluss. Costumes : Ursula Kudrna. Lumière et vidéo : Bertrand Couderc. Chorégraphie : Sommer Ulrickson. Conception son : Mathis Nitschke. Collaboration à l’écriture : Eddy Garaudel. Dramaturgie : Yvonne Gebauer.