Barcelone - Gran Teatre del Liceu

Tiefland de Eugen d’Albert

Quand le pathos de la fosse envahit la scène et la salle

Tiefland de Eugen d'Albert

Evénement rare au Liceu de Barcelone : la représentation d’un opéra de Eugen d’Albert (1864-1932) inspiré d’un drame de la littérature catalane : Tiefland (“Terre basse”) (1903) est une des contributions allemandes au mouvement lyrique naturaliste né en Italie à la fin du XIXème siècle.

L’influence wagnérienne de l’orchestration apporte profondeur et dramatisme, mais aussi la gravité germanique qui magnifie l’œuvre à l’excès et l’éloigne de son pays d’origine. En effet Tiefland est la transposition du drame homonyme du catalan Àngel Guimerà (1845-1924) Terra baixa (1897), pièce très populaire en Catalogne au cours du premier tiers du XXème siècle, qui inspira deux opéras et six films.

La lutte victorieuse de l’humble contre le puissant

La raison de cette popularité n’est pas due, à l’évidence, à l’intérêt que l’oeuvre suscita pour l’ambiance pyrénéenne du XIXème siècle, mais plutôt pour les valeurs universelles de son contenu, assez naïves au demeurant : la lutte victorieuse de l’humble contre le puissant, du pauvre contre le riche, du pur contre l’impur.

Pedro, le berger ingénu, finit par tuer de ses propres mains le cacique Sebastiano lorsque celui-ci tente, par la force, de reprendre Marta, son ancienne maîtresse, devenue entre-temps l’épouse de Pedro. Et Marta finira par comprendre la valeur de son mari – qui a déjà eu le dessus dans un combat avec le loup dans la montagne- face aux mérites de pacotille de son ancien amant. Les textes d’Àngel Guimerà ainsi que la musique d’Eugen d’Albert font penser, au début, au naïf Parsifal du premier acte, ensuite, au triangle Siegfried-Wotan-Brunehilde du dernier acte de Siegfried, et, à la fin, à une possible variante du second acte de Tosca (1900), Cavaradossi tuant Scarpia. Une histoire très proche a été traitée de façon plus resserrée par Alexander von Zemlinsky dans la poignante Eine florentinische Tragödie- Une Tragédie florentine (1917), et Gaetano Donizzetti avait déjà effleuré le sujet dans sa Favorita (1840).

Des campagnes des Pyrénées à un laboratoire de recherche

Pour « rapprocher » la pièce d’Eugen d’Albert du public actuel –certes peu connaisseur de la vie montagnarde, mais sans doute très au courant de la vie des laboratoires génétiques et des usines de fabrication du pain- Matthias Hartmann a transposé l’action des campagnes des Pyrénées à un laboratoire de recherche d’archétypes humains, et le moulin à farine est devenu une usine de l’époque art-déco. Malheureusement le magnifique décor de Volker Hintermeier, au lieu de clarifier l’histoire, ne fait que la brouiller.

Peter Seiffert a interprété le rôle de Pedro avec conviction, fougue et une virile assurance ; son émission généreuse, sans métal ni vibrato a produit une grande émotion notamment lors qu’elle s’est mariée au lyrisme, à la perfection du timbre de Petra Maria Schnitzer –Marta- au moment crucial de l’histoire, le duo du deuxième acte. Alan Titus a bien profité des multiples possibilités vocales et dramatiques du rôle du perfide Sebastiano –le tyran tout-puissant, manipulateur et finalement victime de son propre piège. Juanita Lascarro –malade le 17 octobre- a joué avec simplicité et application le rôle de l’ingénue Nuri alors que Michelle Marie Cook –Pepa-, Rosa Mateu –Antonia- et l’immense Julia Juon –surdimensionnée pour le rôle de Rosalia- ont présenté, avec beaucoup de rigueur vocale mais un peu trop d’humour, les commères médisantes du village. Alfred Reiter nous a donné un excellent Tommaso, et Valeriy Murga fut un Moruccio parfait.

Michael Boder a demandé à l’orchestre du Gran Teatre del Liceu de déborder de pathos. L’orchestre, obéissant, s’est exécuté : l’œuvre le valait bien !

Tiefland opéra en un prologue et deux actes, livret de Rudolph Lothar basé sur la pièce » d’Àngel Guimerà (1897). Production Opernhaus Zürich. Mise en scène de Matthias Hartmann. Décors de Volker Hintermeier. Direction musicale de Michael Boder. Chanteurs : Peter Seiffert, Petra-Maria Schnitzer, Alan Titus, Alfred Reiter, Valeriy Murga, Juanita Lascarro, Rosa Mateu, Michelle Marie Cook, Julia Juon et autres.

Gran Teatre del Liceu les 2, 4, 5, 8, 9, 11, 14, 15, 17 et 20 octobre 2008.

crédit photos : ® Copyright Antonio Bofill

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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