Stabat mater hic et nunc

Le « Stabat Mater » de Domenico Scarlatti perd sa fonction religieuse dans une création collective inégale associant musiciens et comédiens.

Stabat mater hic et nunc

Curieux objet de théâtre musical que ce Stabat Mater (très) librement inspiré de Domenico Scarlatti. Surprenant et drôle parfois, fastidieux et longuet à d’autres, irrévérencieux toujours, le spectacle parvient à trancher dans la programmation du Théâtre des Bouffes du Nord. Lequel nous a pourtant habitués à des spectacles musicaux atypiques – dont une Traviata, vous méritez un meilleur avenir créée en 2017 par Benjamin Lazar et reprise cet automne, tant elle a eu de succès.

C’est peu dire que les deux maîtres d’œuvre, Simon-Pierre Bestion pour la musique et Maëlle Dequiedt pour le théâtre, ont avec leur troupe respective complétement revisité le Stabat Mater de Domenico Scarlatti. Pour la première fois, ils ont porté au théâtre cette pièce polyphonique religieuse du compositeur napolitain (à ne pas confondre avec son père, Alessandro, créateur prolifique d’opéras). Connu surtout pour ses 555 sonates, Domenico compose dans les années 1715 pour le Vatican cet hymne très codé sur un poème en latin écrit au XIIIe siècle par Jacopone da Todi. Non dépourvu de théâtralité, l’hymne décrit les souffrances de la Vierge devant son fils mourant sur la croix. Il est devenu un exercice quasiment obligé pour les compositeurs de l’âge baroque, ceux de Pergolèse et de Vivaldi étant les plus connus.

Si l’on se perd par moments dans les intentions des concepteurs du spectacle, une chose est sûre : la volonté commune de désacraliser l’œuvre, de la libérer de son caractère liturgique. Au point de tomber dans l’excès inverse, de transformer Marie en ménagère quelconque aux prises avec ses soucis domestiques. En se gardant de toute grandiloquence mais sans craindre les grands mots (ni les clichés de la scène contemporaine), les deux créateurs assignent aux quatre comédiens et dix chanteurs/musiciens réunis sur le plateau de « performer » le Stabat Mater, de révéler « sa théâtralité intérieure ». Une façon un rien puérile de se venger du commanditaire de l’œuvre, le pape Clément XI qui, par superstition, au début du XVIIIe siècle, a ordonné la fermeture des théâtres.

Free jazz

Si les tessitures (soprano, mezzo, basse, baryton) prévues par la partition ont été maintenues dans l’adaptation musicale, Simon-Pierre Bestion associe au timbre des chanteurs des instruments d’origines et d’époques très diverses. Outre l’ajout en filigrane d’extraits de sonates du compositeur, les arrangements musicaux régurgitent par endroits les thèmes de Scarlatti dans d’autres styles plus modernes, si bien que la pièce religieuse se mue en concert rock, carnaval brésilien, session de free jazz... Tous les chanteurs jouent d’un instrument (certains plusieurs) avec plus ou moins de bonheur. La basse continue à l’orgue est devenue basse électrique jouée par Annabelle Bayet qui tient bien son (double) rôle.

Pour sa part, la metteuse en scène s’attache à la figure archétypale de la mère et à l’expression corporelle de la relation avec son fils. Elle découpe le spectacle en neuf tableaux annoncés par un cartel lumineux en termes parfois sibyllins. Certaines de ces saynètes sont hilarantes, pleines d’inventivité. Comme le conclave de 1700 qui prend des allures de combat de cerfs : les concurrents sont armés de leur mitre en papier en guise de cornes pour faire tomber celle des autres. Au final, celui qui a réussi a conserver sa coiffe est déclaré pape Clément XI. Par contraste, la séquence interminable où les quatre comédiens réunis en chœur de pleureuses épluchent consciencieusement l’intégralité d’un (gros) sac de pommes de terre ressemble à un séance de torture pour les artistes comme pour le public.

Photo Jean-Louis Fernandez

Stabat Mater d’après Domenico Scarlatti, jusqu’au 28 octobre au Théâtre des Bouffes du Nord, https://www.bouffesdunord.com
Mise en scène : Maëlle Dequiedt. Direction musicale : Simon-Pierre Bestion. Dramaturgie : Simon Hatab. Scénographie : Heidi Folliet. Costumes : Solène Fourt. Lumières : Auréliane Pazzaglia. Chorégraphie : Olga Dukhovnaya. Avec Youssouf Abi-Ayad, Émilie Incerti Formentini, Frédéric Leidgens, Maud Pougeoise, Annabelle Bayet, Guy-Loup Boisneau ténor, Jean-Christophe Brizard, Myriam Jarmache, Lia Naviliat-Cuncic, Matteo Pastorino, René Ramos-Premier, Hélène Richaud, Abel Rohrbach, Vivien Simon.
Tournée : 1er décembre 2023 (maison de la Culture d’Amiens), 5 et 6 Avril 2024 (Le Quartz, Scène nationale de Brest), 12 et 13 avril 2024 (Opéra de Lille), 17 et 18 avril 2024 (Scène nationale d’Orléans).

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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