Avignon, Le Chien qui fume
Sixième Solo de Serge Valletti
Un grand acteur dans le vertige des mots
Raconte-t-on une pièce de Valletti ? C’est tout en virages, ruptures et en fausses incohérences. Raconte-t-on ses « solos », qu’il a joués lui-même ? C’est tout en glissements, en chaos et en rétablissements. On ne dira jamais assez que Valletti est l’un de nos tout premiers écrivains de théâtre, et aussi l’un des plus joyeux à travers les délirants voyages verbaux et immobiles qu’il organise. Si l’on essayait néanmoins de résumer Sixième Solo, on dirait qu’un personnage surgit en jaquette pour se rendre à un mariage, qu’on ignore longtemps qui il est avant d’apprendre qu’il est un acteur peu aguerri, qu’il s’avère aussi de peu d’expérience face à la vie, car il s’adresse à un mort en le prenant pour un vivant, qu’il n’arrivera jamais au mariage annoncé mais qu’il bondira de Grenoble au Mexique, parmi les Mayas, avant de rebondir en Belgique, grâce au mot qu’il aura eu l’idée de prononcer… Un tel résumé ne mène nulle part mais donne quelque indication sur l’univers de Valletti, où les répliques et les épisodes fragmentés se recollent peu à peu et forment à la longue un récit dont on perçoit le sens sans pour autant deviner les soubresauts inspirés de la fin. Chacun de ses Solos est une tragédie bouffonne et hilarante.
C’est vertigineux, et il y a de quoi donner le vertige à un acteur. Jacques Frantz a affronté ce texte cassé et savonné avec crânerie et modestie. C’est beau de voir un tel interprète se lancer dans Valletti. C’est beau de voir un jeune metteur en scène, Sébastien Rajon, s’intéresser à ce style difficile. Le dépouillement, l’obscurité et les lumières changeantes sont le matériau adopté. A Jacques Frantz de prendre en main toutes les variations et d’être à la fois le passant hagard et la lanterne qui éclaire cette marche en avant et en arrière. Il le fait en géant fragile, d’une rare puissance et d’une secrète douceur, creusant à la fois la balourdise burlesque et l’intelligence altruiste d’une œuvre dont les chausse-trappes mènent au rire et au mystère du rire. Rarement nous est donné un tel plaisir de voyager en un bateau ivre.
Sixième Solo de Serge Valletti, mise en scène Sébastien Rajon, avec Jacques Frantz. Au Chien qui fume, 15 h 35. Durée : 1h20. Tel : 04 90 85 25 87.
Photo Frédéric Jessua