Théâtre de la Cité Internationale à Paris.

Richard dans les étoiles de Valérian Guillaume

Une sortie de piste professionnelle qui bouscule les attendus.

Richard dans les étoiles de Valérian Guillaume

De 2017 à 2019, Valérian Guillaume a mené avec le romancier Vincent Message et d’autres auteurs, une enquête littéraire autour du chômage en France, assistant à des rendez-vous individuels et collectifs à Pôle Emploi. Pour les sans-emploi, la justification de l’inactivité est une obsession : « Le recours au story-telling est alors un passage obligé pour chacun. Le CV est déjà un synopsis sur une personne, la lettre de motivation, un récit à la première personne ».

Faute de trouver la vérité - la reconnaissance de soi - dans une activité professionnelle impartie, plus ou moins choisie à bon escient, à partir de l’extérieur - contraintes économiques et sociales obligées -, certains parviennent pourtant à trouver leur être-là au monde, hors des sentiers battus.

Avec ses complices déjantés, le metteur en scène conte l’histoire d’un coup de théâtre individuel qui questionne en amont le cours quotidien de la vie. Valérian Guillaume interroge la recrudescence banalisée des burn-out ou épuisements professionnels qui touchent les actifs.
Certains résistent, prenant le taureau par les cornes, et ne consentent pas à leur disparition.

Même si, traditionnellement, de manière générale, selon ce que l’on observe au quotidien, « … les braves gens n’aiment pas que/ L’on suive une autre route qu’eux/ Non, les braves gens n’aiment pas que/ L’on suive une autre route qu’eux… » ( La Mauvaise Réputation, Georges Brassens)

Loïc tient une baraque à frites, près d’un rond-point, dans une périphérie urbaine anonyme. Comme son père avant lui, c’est un grand connaisseur de l’art de la frite. Il répond à la demande des passants - souvent les mêmes -, des adeptes fidèles qui sont particulièrement addict à ce petit morceau effilé de pomme de terre, comme si cette tige de patate triviale - big, maxi - réconfortait.
Les paroles sont alors répétitives, récurrentes, métamorphosées en petits rituels sonores et vides.

Un jour pourtant, le maître-artisan arrête le train mécanique et confus des jours qui passent, il devient Richard, poète ou chanteur glamour, qui ne façonne plus le tubercule comestible en autant d’allumettes qu’il est possible - bâtonnets frits à l’huile et autres accessoires -, mais forge des mots à partir de la langue - écriture un peu débridée, jeux de mots et syllabes bousculées ou inversées.

Cette matière singulière et joyeuse mise en bouche n’est plus comestible, mais facétieuse, propre à la consolation et au soulagement de l’ennui d’être au monde, de la peine de ne pas s’être trouvé.

La cabane à frites célèbre et appréciée reste définitivement close au grand dam des fanatiques de ce mets, ces habitués sans raison des petits cornets aux senteurs et saveurs de baraque foraine.

Le choeur des fans de la frite est savoureux, pétillant de vie et de non-sens, décalé, joueur, amuseur et amusé, tonique et coloré d’une présence au monde puissante, latente et abusive, s’adonnant sans le savoir à un harcèlement psychologique de tous les instants - à travers les répétitions de phrases significatives - leur vanité - du rouleau compresseur du parler quotidien.

Pour les habitués convertis à la frite, Loïc doit se consacrer à sa tâche culinaire, une mission d’ordre public et collectif qui ne consent pas à l’accomplissement personnel et nie cette poésie-là.
Jules Benveniste en client et préfet de police ; Giulia Dussolier en cliente et mère de Loïc ; Lucie Gallo en Dame Frite d’album coloré de conte de fées, ou en cliente et en professeure ; Amandine Gay en cliente et en soeur de Loïc, trouvent une vraie jouissance à jouer les décalés, les ahuris, les habitants égarés d’un monde régi par les instances et requêtes d’urgence de tyrans égoïstes.

Soit une façon de vivre selon son bon plaisir, et de dire « merdre » à tout et à tous, à la façon de Jarry. Or, telle est bien, quoique aux antipodes des clients, la position du poète : se libérer des conventions sociales, pour mieux faire surgir un nouvel imaginaire, un esthétisme refondé.

Gageure tenue, dans le premier volet surtout, où sévit le chœur effervescent des clients, ponctué par la narratrice éveillée Raphaëlle Damilano - jeune ami de Loïc - qui s’adresse directement au public avec franc-parler, en toute transparence, afin que celui-ci saisisse de quoi il retourne. Le second volet, loufoque aussi, est moins convaincant, faisant la part belle à l’absurde - costumes de toile plastique pour les interprètes, puis enveloppe qui gonfle et enferme le chanteur dans sa bulle.
Et ce Loïc/Richard qui naît à lui est interprété par l’auteur et metteur en scène Valérian Guillaume.

Un spectacle réjouissant de bonne humeur - un air frais renouvelé -, à canaliser de-ci-de-là.

Richard dans les étoiles, texte et mise en scène de Valérian Guillaume, dramaturgie Baudoin Woehl, scénographie James Brandily, costumes Nathalie Saulnier, création vidéo Pierre Nouvel, création lumières Sylvain Séchet, composition musicale Victor Pavel. Avec Jules Benveniste, Raphaëlle Damilano, Giulia Dussolier, Lucie Gallo, Amandine Gay et Valérian Guillaume. Du 4 au 16 décembre, lundi, mardi 20h, jeudi, vendredi 19h, samedi 18h, relâches mercredi et dimanche, au Théâtre de la Cité internationale 17, bd Jourdan 75014 - Paris. Tél : 01 43 13 50 60, theatredelacite.com
Crédit photo : Etienne Faivre.

A propos de l'auteur
Véronique Hotte

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