Du 5 au 8 décembre, et du 19 au 21 décembre 2023 Comédie - CDN de Reims.

RAPT de Lucie Boisdamour par Chloé Dabert.

Cascade de Fake News et complotisme.

RAPT de Lucie Boisdamour par Chloé Dabert.

« Le conspirationnisme se nourrit de la défiance à l’égard des médias et des universitaires, et participe de l’essor en ligne des fausses nouvelles, toujours pour des motifs propagandistes et politiques. C’est ce qui explique sa remarquable flexibilité : selon leur orientation politique, les locuteurs privilégieront le complot néolibéral ou le complot communiste, le complot des élites mondialisées ou celui des minorités internes. Le monde social change, mais l’explication complotiste demeure, comme s’il fallait se complaire sans cesse dans le mythe d’un dessaisissement de l’homme par l’homme. »( Emmanuel Taïeb, Encyclopedia Universalis).

Lucie Boisdamour devait être l’autrice québécoise d’une pièce contemporaine traitant des réseaux sociaux, du dérèglement climatique et des sujets sociétaux. La directrice de La Comédie, CDN de Reims, Chloé Dabert, montant la pièce, y notait une résonance avec la langue de Lucy Kirkwood, ciselée, réaliste, avec de l’humour noir, tel Le Firmament créé par la metteuse en scène en 2022.

Sur la scène, un entremêlement du théâtre, de la fiction et des éléments réels, soit la vie-même qui reproduit la difficulté de classer les données de l’information, transformées et fabriquées. Le rapport aux autres, à l’écologie, à la politique est bouleversé par les nouveaux médias, et la vitesse des transformations, des mutations de nos sociétés, s’emballe depuis une décennie. L’objectivité ne peut être que malmenée - désorientation et vulnérabilité -, précise Chloé Dabert.

Or, Rapture est un spectacle faux - titre, nom d’auteur et pitch - que Kirkwood aurait créé pour tromper la censure gouvernementale britannique. Présente sur la scène, en fin de représentation, elle assure que l’histoire n’est pas une fiction, mais un documentaire sur la vie d’un couple de militants écologistes et complotistes anglais, les Quilter, morts étrangement après dix ans sur écoute. Sollicitée par une association pour témoigner de l’affaire, elle aurait récupéré leurs vidéos diffusées sur internet, des images provenant de caméras de surveillance et des milliers d’heures d’enregistrement audio. La pièce est censurée, le gouvernement ayant une part de responsabilité.

La narratrice scénique de l’affaire - lumineuse Anne-Lise Heimburger - est celle qui enquête, tente d’élucider l’incertitude, via des investigations nécessaires au libre-arbitre. La conférencière commente les données d’une scène passée ou de telle autre à venir. Or, théâtre dans le théâtre, et métaphore filée, la présentation de RAPT de Chloé Dabert n’est faite que de Fake News - infox, fausses nouvelles, informations fallacieuses et mensonges diffusés pour manipuler le public -, et le vertige s’empare du spectateur intrigué qui semble descendre un escalier tombant dans le vide.

Réseaux sociaux et éco-anxiété, Céleste et Noah, deux jeunes Britanniques, se rencontrent lors d’un rendez-vous organisé par un journal et tombent amoureux. Mariés, ils ont un enfant ; or, la paranoïa s’installe dans leur quotidien - monde inconnu de communautés-pirates, méandres d’internet et du Dark Web - et schizophrénie entre virtuel et réel : ils sont sous surveillance. Après des appels anonymes, un piratage, ils postent des vidéos sur YouTube qui dénoncent les manipulations gouvernementales, voulant - au prix de leur vie - changer le monde.

Sur scène, interrogeant la vérité, RAPT reconstitue la vie du couple replié chez lui dans le traitement de l’information, les médias - la peur alentour. Réalité ou imagination, les histoires fluctuent. Les Quilter : Andréa El Azan et Arthur Verret, accompagnés de Juliette Launay, sont saisis dans les jours qui passent, évoluant derrière des panneaux de voile et à l’écran - interprètes convaincants, pions/personnages cadrés sur pied dans un espace fragmenté de petites fenêtres, face à l’écran d’ordinateur, face à l’autre, isolés dans l’immense espace de solitude de leur être.

« Ce n’est pas parce que c’est dans ton imagination que ce n’est pas réel. » ou encore, « C’est la vérité que je cherchais… » (Le Ravissement de Lucy Kirkwood.)

Un spectacle énigmatique, une mise en abyme des perspectives qui n’en finit pas de faire glisser le jugement d’une probabilité à l’autre - un calcul dont on n’est pas le sujet mais l’objet. Pour la vision d’un monde - son tournis - qui échappe au raisonnement : belle conscience de soi ravie.

RAPT, texte de Lucie Boisdamour (éditions de L’Arche), mise en scène de Chloé Dabert, scénographie Pierre Nouvel, création costumes Marie La Rocca, création lumière Auréliane Pazzaglia, création son Lucas Lelièvre, maquillage coiffure Judith Scotto, accessoires Marion Rascagnères. Avec Andréa El Azan, Anne-Lise Heimburger, Juliette Launay et Arthur Verret. Du 24 au 29 janvier 2024 Centquatre-Paris.
Crédit photo : Victor Tonelli.

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Véronique Hotte

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