Pelléas et Mélisande de Debussy au Théâtre de l’Athénée

Pelléas, un huis clos

Un piano remplace l’orchestre dans l’opéra de Debussy mis en scène au Théâtre de l’Athénée.

Pelléas, un huis clos

PELLÉAS ET MÉLISANDE EST UN OPÉRA de l’intimité. Dans une version pour voix et piano, l’impression est accrue. Elle l’est d’autant plus l’opéra est joué dans le cadre resserré du Théâtre de l’Athénée où tout n’est que présence et proximité. Précisons que ces représentations utilisent non pas la réduction piano-chant de l’opéra, utilisée lors des répétitions, mais une version signée Debussy lui-même, qui a essayé de glisser dans la partie de piano les intentions musicales et poétiques de son orchestre. Les couleurs instrumentales nous manquent, évidemment, mais on retrouve là tout le charme, au sens fort du terme, qui habite les Images et les Préludes composés pour l’instrument ; et la structure même de la partition, avec ses thèmes récurrents, est d’autant plus claire.

Il faut le sentiment poétique qui habite un pianiste comme Martin Surot (Jean-Paul Pruna lui succédera à partir du 21 février) pour faire vivre la partition, lui donner sa respiration au fil des cinq actes, ménager la tension, la violence, les moments suspendus. Pour que la musique ait ses droits, il convient aussi, évidemment, que soit réunie une distribution choisie avec soin. C’est presque le cas à l’Athénée, où le couple qui tient les rôles-titres est d’une grande justesse. Marthe Davost incarne une Mélisande courageuse et solide, malgré ou plutôt grâce à sa maîtrise des nuances et des émotions ; recroquevillée dans son canapé, elle est tout autant fragile qu’invincible. Jean-Christophe Lanièce est un Pelléas adolescent, la voix plus claire que d’autres titulaires du rôle (qui, on le sait, oscille du ténor au baryton) ; lorsqu’il chante « On dirait que ta voix a passé sur la mer au printemps », on croit tout à coup entendre une mélodie (au sens du lied), une page close de quelques instants pour une voix et un piano complices.

Geneviève est le médecin

Cyril Costanzo n’a pas ce qu’on appelle une voix sombre, mais il possède l’autorité d’Arkel, et il faut chercher ailleurs sa gravité : dans un chant d’une raideur voulue, par exemple. Marie-Laure Garnier, à qui les metteurs en scène font chanter aussi le rôle du Médecin, ce qui dramatiquement n’est pas un contre-sens (de même qu’Arkel dit tout à fait en situation les quelques phrases attribuées au Berger), a la plénitude rassurante de Geneviève, cependant que Cécile Madelin est un Yniold vif, mobile, toujours convaincant dans l’expression de ses angoisses. On regrettera simplement qu’Halidou Nombre ne chante pas toujours juste et se réfugie parfois dans un semblant de parlé-chanté, là où Golaud ne devrait être qu’impossible majesté et passion sur le fil.

Tel quel, éclairé avec justesse, ce Pelléas de chambre, soutenu par la Fondation Royaumont, est une œuvre de théâtre. Moshe Leiser et Patrice Caurier le situent dans une espèce de salon meublé d’un canapé, de quelques fauteuils et d’une chaise roulante pour Arkel (et pour Mélisande à la fin), le piano servant aussi d’accessoire scénique : c’est sur lui que s’allonge Mélisande afin de faire choir ses cheveux du haut de la tour. La direction d’acteurs est travaillée dans le détail (oublions la cigarette dans les doigts de Geneviève et le casque sur les oreilles d’Yniold) ; la scène de violence que subit Mélisande, au quatrième acte, prend une couleur réaliste inédite qui peut surprendre, car Pelléas n’est qu’irréalité – mais les conditions, ici, sont tout autres, et l’acoustique même du théâtre efface toute impression de distance ou de lointain. On aurait simplement souhaité voir au fond de la scène un mur et une porte plus neutres que ce contreplaqué assez laid, et des costumes eux aussi moins temporels que ces éternels jeans et T-shirts qui ne nous rendent pas plus vivants un ouvrage qui, ne l’oublions pas, se situe dans un ailleurs.

Illustration : Martin Surot, Marthe Davost et Jean-Christophe Lanièce (photo Guillaume Castelot)

Claude Debussy : Pelléas et Mélisande. Avec Jean-Christophe Lanièce (Pelléas), Marthe Davost (Mélisande), Halidou Nombre (Golaud), Marie-Laure Garnier (Geneviève), Cyril Costanzo (Arkel), Cécile Madelin (Yniold). Mise en scène : Moshe Leiser et Patrice Caurier ; costumes : Sandrine Dubois ; lumières : Christophe Forey. Martin Surot, piano. Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 17 février 2024. Prochaines représentations : 19, 21, 23, 25 février.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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