Festival d’Aix-en-Provence 2024 (4)

Pelléas à la baguette

La vision choc, féministe, de Katie Mitchell de « Pelléas et Mélisande », de Debussy, est reprise cet été.

Pelléas à la baguette

On n’était pas à la création de la production de Pelléas et Mélisande dans la mise en scène de Katie Mitchell à Aix 2016. Mais on savait que sa vision féministe avait fait grand bruit. À la sortie du Grand Théâtre de Provence, le samedi 6 juillet, de l’avis général de ceux qui l’avaient vue à l’époque, la reprise cette saison est plus dure que l’originale. Le mouvement #metoo est passé par là et la metteuse en scène a revu sa proposition, même si le principe est resté le même : le drame lyrique en cinq actes et douze tableaux de Debussy se déroule comme un rêve que ferait Mélisande au soir même de ses noces avec Golaud, le frère de Pelléas.

Contrairement au cliché de la jeune femme éthérée, éternelle victime, elle prend systématiquement l’initiative y compris et surtout sur le plan sexuel avec son amant qu’elle manipule littéralement comme un grand dadais. Et cela va loin, très loin... L’homme, le vrai, en l’occurrence son mari, Golaud, révèle vite sa nature de prédateur. Il viole sans état d’âme sa femme après la découverte de la liaison, pourtant purement verbale, avec Pelléas. La violence du personnage exprimée à demi-mot dans le livret va jusqu’au passage à l’acte : après avoir harcelé son fils pour savoir ce que l’enfant a vu de cette liaison, il le viole furtivement.

Air malsain

On est bien loin de l’atmosphère symboliste, purement suggestive, un peu compassée, de la pièce de Maeterlinck qui a inspiré Debussy pour son opéra, créé en 1902. Loin aussi des fantasmes masculins. Ici le mystère consubstantiel au personnage de Mélisande se creuse jusqu’au vertige. On entre de plain-pied dans l’espace mental instable, mouvant, toujours surprenant de la jeune femme, et on respire l’air malsain qui sourd du château d’Allemonde, où elle atterrit et autour duquel rôdent la famine et la maladie.

Passé le choc de la première séquence et des provocations de la mise en scène (en préambule, Mélisande s’assoit sur la cuvette des WC pour se faire un test de grossesse), le spectacle dans son onirisme poétique a quelque chose d’envoûtant. Créant toujours la surprise, des trouvailles scéniques installent une atmosphère surréaliste, où les personnages se déplacent avec une lenteur très étudiée de danseur. On sort d’une pièce à travers une armoire et l’on débouche sur un immense escalier en colimaçon qui ne mène nulle part. Dans un monde qui lui semble étranger, source d’angoisse, Mélisande est toujours accompagnée de son double muet, comme si elle était témoin de ses propres actes.

Une mention spéciale doit être décernée à la superbe scénographie avec un plateau divisé en deux voire trois compartiments répartis sur plusieurs niveaux où se situe successivement ou simultanément l’action, dans des décors surannés qui font penser aux tableaux de Hopper. Un grand bravo aussi aux machinistes qui déplacent sans le moindre bruit les décors parfois gigantesques pour faire place à d’autres, telle la piscine, certes vide, mais immense, censée représenter la Fontaine des aveugles où les deux amants s’avouent leur amour.

Fluidité

La distribution presque entièrement renouvelée se montre très homogène avec des chanteurs de premier ordre qui ont le physique de leur rôle. On ne prendra pas tout à fait comme une coïncidence le fait qu’après le finlandais Esa-Pekka Salonen en 2016, c’est sa compatriote Susanna Mälkki qui prend la baguette. Pour son premier Pelléas scénique, après une version de concert donnée à Radio France l’an dernier, elle conduit l’œuvre à la tête de l’Orchestre et du Chœur de l’Opéra de Lyon, avec beaucoup de fluidité, dans le respect de la partition et en harmonie manifeste avec les chanteurs.

La soprano suisse Chiara Skerath, qui remplace au pied levé Julia Bullock, incarne avec sa silhouette juvénile et ses longs cheveux une Mélisande hypersensible à la voix un peu blanche dans le parlé-chanté propre à l’œuvre. Le baryton britannique Huw Montague Rendall est un Pelléas émouvant de gaucherie, avec une diction parfaite du français. Laurent Naouri, déja Golaud en 2016, reprend le personnage avec un engagement scénique et vocal redoublé. De son coté, Vincent Le Texier campe avec prestance le roi Arkel, grand-père de Pelléas, pater familias un rien inquiétant.

Photo : Jean-Louis Fernandez

Debussy : Pelléas et Mélisande, Grand Théâtre de Provence jusqu’au 17 Juillet (https://festival-aix.com/fr).
Avec Chiara Skerath, Huw Montague Rendall, Laurent Naouri, Vincent Le Texier. Chœur et Orchestre de l’Opéra de Lyon, dir. Susanna Mälkki. Mise en scène : Katie Mitchell. Costumes : Chloe Lamford. Scénographie : Lizzie Clachan. Lumières : James Farncombe. Dramaturgie : Martin Crimp.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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