Barcelone. Gran Teatre del Liceu jusqu’au 12 mars 2011

Parsifal de Richard Wagner

De la bataille de Vouillé à la guerre de 14-18

Parsifal de Richard Wagner

D’après certains exégètes tout aurait commencé lors de la bataille de Vouillé en 507 avec la victoire de Clovis sur Alaric II. Les Wisigoths, qui dominaient jusqu’alors alors le midi sans partage, furent contraints de se réfugier au sud des Pyrénées. En 589 ils adoptèrent le catholicisme romain et, voulant faire table rase de leurs infortunes antérieures, ils brûlèrent purement et simplement toutes leurs archives. Leur passé historique, transmis désormais par oral, se transforma vite en légende.

On a avancé que si le roi wisigoth Euric pouvait avoir inspiré le personnage du sage roi Titurel, et le malheureux Alaric II le tourmenté Amfortas, ce serait Theudis, brillant militaire ostrogoth, roi des Wisigoths en 531, qui pourrait être à l’origine du personnage de Parsifal. On peut avoir des doutes sur cette théorie mais dans « Parsifal » le château de Klingsor (Clovis ?) se trouve bien au nord des Pyrénées et la montagne de Montserrat, au sud, abrite encore aujourd’hui une communauté ecclésiastique masculine qui au début de la reconquête catalane n’a pas défendu le christianisme face à l’islam qu’avec des prières. On retrouve ces matériaux mélangés aux thèmes apportés par le christianisme sous forme littéraire dans le cycle arthurien dès le XIIème siècle.

Richard Wagner s’est inspiré dans Parsifal de ce corpus littéraire. Il a laissé de côté les racines historiques du récit pour porter son attention sur son côté spirituel – la lutte du bien contre le mal- en empruntant tous les symboles chrétiens à sa disposition, bien connus alors de son public : la lance, le calice, les rites associés à l’eucharistie et au vendredi saint…

Notre époque s’éloigne des symboles chrétiens

Et c’est bien là que la profonde transformation areligieuse de notre société a contraint Claus Guth à abandonner l’ensemble de ces symboles et, pour rendre l’histoire plus compréhensible à tout un chacun, a dû abandonner toute référence liturgique et se réfugier dans la seule souffrance des peuples de notre époque. Il a alors transformé l’aspiration à la perfection métaphysique –explicitée par la renonciation au sexe- en simple envie d’éliminer les souffrances physiques ou morales des dirigeants mais aussi des citoyens lambda.

On comprend alors la perplexité du public du Liceu, si attaché aux traditions, à la vue du site du Graal transformé en hôpital pour soldats blessés et traumatisés par la guerre (vraisemblablement celle de 14-18), le Graal lui-même étant devenu un simple objet utilitaire que tous peuvent toucher, et son contenu – le sang du Christ - vraisemblablement une sorte de drogue rendant, transitoirement, de la vigueur aux malades.

A partir de cette option de base, Claus Guth a dû jongler avec des situations frisant le « hors sujet » et passer vite sur certains mots dont la sémantique n’avait rien à faire dans un hôpital psychiatrique. Intelligent, il s’est vite aperçu qu’il était impossible de poursuivre l’exercice au long des trois actes de la pièce. Il a abandonné l’option au bénéfice de trouvailles scéniques, certes intéressantes par elles mêmes, mais via des chemins de traverse insensés et totalement étrangers à la cohérence du récit.

Une réaction du public inattendue

Curieusement, cette option a très bien marché et, de façon magistrale Claus Guth a emporté le Liceu tout entier avec lui vers un monde irréel, aux antipodes de toutes les options de Parsifal – très nombreuses- représentées jusqu‘alors dans la salle de la Rambla barcelonaise. Un exemple : la silencieuse et chaleureuse poignée de mains entre Klingsor et Amfortas venue sceller leur pacte diabolique – sans doute contre Parsifal alors au pinacle - au baisser du rideau. Le public sans exception s’est montré très enthousiaste. Il a certes applaudi les choix irrationnels et efficaces de Claus Guth, mais aussi et peut-être surtout les performances musicales d’une vraie soirée de gala.

Une nuit musicalement inoubliable

L’orchestre du Liceu, sous la direction de Michael Boder, est allé dans le sens de la mise en scène, par une lecture des parties symphoniques gonflée de pathos, flirtant sans la transgresser avec la ligne rouge de la pédanterie. Il a souligné l’élégance des chœurs, bien préparés par José Luis Basso, et s’est contenté d’accompagner les solistes.

Dans ce contexte ont résonné, impériales, les voix des basses exprimant la douleur physique et la souffrance morale : celle d’Eric Halfvarson, Gurnemanz douloureux, hésitant et tyrannique ; celle de John Wegner, Klinsor plutôt humain qui distillait davantage le mépris de l’autre que la volonté de lui nuire, et finalement celle d’Egils Silins en Amfortas honteux de la défaite de son combat personnel contre les forces du mal. Christopher Ventris, dans le rôle titre a trouvé la valeur juste du personnage à chaque intervention ; son timbre neutre, sa diction parfaite, sa versatilité vocale lui ont permis tout à tour d’exprimer la naïveté, la souffrance, l’endurance, l’autorité enfin de celui qui a réussi son parcours initiatique et qui arrive au bon moment pour que justice lui soit faite et qu’il soit proclamé roi des chevaliers. La révélation de la nuit fut cependant la rayonnante interprétation de l’allemande Evelyn Herlitzius, Kundy tendre et violente, pudique et tentatrice. Elle a réussi un deuxième acte parfait, tant la sensation érotique qui émanait de son chant, mais aussi de ses attitudes dramatiques ont rendu incompréhensible la farouche résistance du naïf Parsifal.

Parsifal : "Festival sacré" en trois actes de Richard Wagner. Nouvelle co production du Gran Teatre del Liceu et le Opernhaus Zürich. Mise en scène de Claus Guth. Direction musicale de Michael Boder. Chanteurs : Christopher Ventris, Evelyn Herlitzius, Eric Halfvarson, Egils Silins, John Wegner, Ante Jerkunica, Anna Puche, Inés Moraleda, Estefanía Perdomo, Michelle Maria Cook, Nadine Weissman, Viçens Esteve Madrid, Antonio Lozano, Jordi Casanova et autres.

Gran Teatre del Liceu les 20, 24, 25, 28 février et les 2, 4, 8, 10 et 12 mars 2011.

Tél. +34 93 485 99 29 / Fax +34 93 485 99 18 / http://www.liceubarcelona.com / exploitation@liceubarcelona.cat

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook