Critique – Opéra & Classique
Orfeo (Je suis né en Arcadie) - d’après Monteverdi
Claudio Monteverdi sur des sentiers d’écoliers
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- 25 janvier 2017
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Après avoir troussé Purcell et son Didon et Enée (1689), le collectif La vie Brève, cette bande de joyeux farfelus, musiciens, comédiens, chanteurs, acrobates remonte dans le temps et s’en prend à l’Orfeo de Monteverdi (1607) pour le découper en tranches musicales et tronçons de théâtre. Rois des décalages, princes de l’absurde et de tous les culots, ils n’hésitent pas à s’emparer de chefs d’œuvre classés pour les assaisonner de leurs épices vagabondes.
Sur la scène des Bouffes du Nord, ce théâtre hors normes dont Peter Brook a fait un lieu quasi magique, on retrouve Florent Hubert qui, il y a quelques mois, y avait codirigé cette bouleversante « Traviata -vous méritez un avenir meilleur » (voir WB 5329 du 26 septembre 2016). Il reprend ici la direction musicale d’un ensemble hétéroclite où certains instrumentistes fringués à la va comme j’te pousse sont également chanteurs et acteurs. Vladislav Galard passe de son violoncelle aux rôles chantés/dansés de Pan et de Charon, tous deux en versions clownesques, Thibault Pierrard glisse de sa batterie aux débordements d’un Dionysos de fantaisie, le saxophoniste Lawrence Williams se convertit en apiculteur pour les besoins d’une relecture où les bergers sont transformés en producteurs de miel. A cause d’Aristée, l’éleveur d’abeilles qui fait du gringue à Eurydice ? Clément Janinet au violon et Olivier Laisney à la trompette se contentent de rôles plus discrets.
Instruments d’hier et d’aujourd’hui mêlent leurs sonorités pour faire entendre la musique d’autrefois autrement. Pour des oreilles du XXIème siècle ? Monteverdi prend des habits de folk, de jazz et fait même appel en épilogue à Mahler et ses Ruckertlieder.
Une cabane aux vitres bariolées constitue un fond de décor qui va se transformer peu à peu, tout comme le sol peinturluré qui sera lavé à grande eau et séché avec la traîne de la robe de mariée d’Eurydice. Les gags s’enchaînent au sein d’une famille reconstituée où une Mama à l’italienne (Aphrodite ?), gouverne ses fistons parmi lesquels Pan devient un satyre à la démarche de cabri…
Les détours, déviations, dissidences saugrenues de tout poil peuvent démanger les amateurs pur sucre de musique ancienne, Renaissance ou baroque. Les épisodes parlés se traînent un peu, mais la folie qui se déchaîne devient vite contagieuse, le rire s’y faufile, et, quand elle interrompt ses galipettes pour laisser place à la musique, le charme rejoint le divertissement. Car ils savent y faire et sont bons musiciens. Le ténor Jan Peters, est un Orphée au timbre franc et réservé, se gardant de tout excès, Marion Sicre fait écho à son amour, à sa douleur, en Eurydice à la douceur feutrée. Dès l’ouverture Anne-Emmanuelle Davy, messagère puis nymphe, fait entendre une voix d’une clarté lumineuse.
Samuel Achache et Jeanne Candel, concepteurs et metteurs en scène de ce drôle de détournement, ont au final très habilement mêlé le burlesque à la mélancolie et le vaudeville au drame intérieur. Monteverdi y emprunte les chemins d’écoliers mais ne s’y perd pas.
Orfeo (je suis mort en Arcadie) d’après Monteverdi, conception, mise en scène Samuel Achache, Jeanne Candel, direction musicale Florent Hubert, scénographie Lisa Navarro, lumières Jérémie Papin. Avec Matthieu Bloch, Anne-Emmanuelle Davy, Vladislav Galard, Anne-Lise Heimburger, Florent Hubert, Clément Janinet, Olivier Laisney, Léo-Antonin Lutinier, Thibault Perriard, Jan Peters, Marion Sicre, Marie-Bénédicte Souquet, Lawrence Williams.
Théâtre des Bouffes du Nord, jusqu’au 5 février - les mardis, mercredis, vendredis, samedis à 20h30, dimanches à 16h.
01 46 07 34 50 – www.bouffesdunord.com
En tournée :
23 février : Choisy-le-Roi – Théâtre Paul Eluard
25 février : Alfortville, Pôle culturel
2–4 mars : Toulouse – Théâtre National
8-9 mars : Théâtre de Lorient
14 mars : Evreux – Le Cadran
17-18 mars : Cergy-Pontoise – l’Apostrophe
24 mars : Montpellier – Domaine d’O.
Photos Jean-Louis Fernandez