Critique – Opéra-Classique
TRAVIATA - « Vous méritez un avenir meilleur » d’après Giuseppe Verdi
La plus bouleversante des Traviata
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- 26 septembre 2016
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Il fallait oser. Faire remonter à ses sources La Traviata de Giuseppe Verdi, l’un des opéras les plus joués, les plus connus du monde, et en tirer une synthèse où musique, roman et théâtre se fusionnent en épure pour aboutir à une forme de spectacle total. Ce pari fou Benjamin Lazar, metteur en scène de l’inattendu, Judith Chemla comédienne aux multiples facettes et Florent Hubert, homme de musique hétéroclite, l’ont mené jusqu’au terme de l’une des plus belles réussites vues sur scène depuis bien longtemps. On en sort, on sort de ce Théâtre des Bouffes du Nord qui ne ressemble à aucun autre, presque hébété. Sonné de bonheur…
A Paris, en 1852, Verdi avait vu l’adaptation théâtrale du roman - semi-autobiographique – d’Alexandre Dumas fils, La Dame aux Camélias. Son héroïne, son ex-maîtresse, Marie Duplessis rebaptisée Marguerite Gautier, était morte en 1847, un an avant la parution du roman, un 3 février, en pleine semaine de Carnaval. Le destin de cette femme trop belle, trop fragile, trop vraie fit naître en Verdi une obsédante musique dédiée à cette pseudo-dévoyée, cette Traviata qui ne marche pas droit et qui sera créée, un an après le voyage parisien, sur la scène de La Fenice de Venise. Elle, née Rose Alphonsine Plessis qui se voulut nommer Marie Duplessis, prit dans l’opéra l’identité de Violetta Valéry.
Dans l’espace ouvert des Bouffes du Nord, ses murs nus, la genèse de ces transformations est évoquée en répliques courtes, directes, naturelles. Ce naturel domine l’ensemble du spectacle, ce ne sont plus des personnages qui évoluent sur scène, mais des personnes, des êtres humains qui vivent leur histoire. A commencer par l’incarnation quasi hallucinante de Judith Chemla. Elle est Violetta, ex-Marguerite, ex-Marie qui ne veut pas révéler son nom à ses copines et qui raconte, esquive, s’amuse et vibre jusqu’au bout de ses longs doigts dansants, de son corps frêle, de ses cernes ombrés, de son regard en transparence insondable. Et de sa voix soyeuse de soprano que ses nombreux rôles d’actrice au théâtre et au cinéma avaient tenu secrète. A la clé : quelques années de chant lyrique au conservatoire d’Aubervilliers. Elle chante tous les grands airs de sa Violeta, pousse ses vocalises en trilles aériennes et passe, sans accent, du français parlé à l’italien chanté (et surtitré).
A ses côté, Damien Bigourdan, homme de théâtre et de musique lui aussi, ténor et acteur, fait d’Alfredo un être de passion sans concession, fou d’amour, fou de déception et de rage, fou de regrets, anéanti par la mort de l’aimée qu’il porte dans ses bras comme une poupée disloquée. La voix est de clarté, le jeu de feu. Jérôme Billy, Germont père aux graves fermes et discrets s’impose en homme mesuré, compatissant, Elise Chauvin passe en grâce de Flora (l’insouciante) à Anina (la dévouée). Florent Baffi dote la courte apparition du médecin d’un timbre de basse cuivrée.
Il n’y a pas de fosse aux Bouffes du Nord, tout ce qui s’y passe se déroule au niveau du public, et, pour ainsi dire, l’englobe. Revue par Florent Hubert, la partition a été arrangée pour ramener la quarantaine de musiciens de l’orchestre traditionnel à huit instrumentistes transformés en musiciens à tout faire : jouer de leurs instruments (flûte, clarinette, violoncelle, contrebasse, trombone, cor, violon et même accordéon !), jouer des petits rôles, devenir foule, et chanter en chœur ! Ils font partie de l’action à part entière.
A l’exception d’un tulle de gaze géant, il n’y a pas de décor, mais des éléments familiers, trois fois rien, qui situent les lieux, des vases remplis de fleurs, quelques plantes, une table, une chaise, une sorte de comptoir schématisé où sont préparées les boissons pour les invités du bal de Flora et un faux catafalque où poussent des herbes. Les costumes sont de tous les jours, d’aujourd’hui, de toujours. La mise en scène de Benjamin Lazar est si fine, si juste, tellement au cœur des événements, qu’elle en devient liquide, invisible, comme l’air qu’on respire ou les larmes impossible à retenir.
Pour cette Traviata sans article défini, tout superlatif serait redondant. Il appauvrirait le ressenti. Ce que, ici, théâtre et musique, Judith Chemla et ses partenaires engendrent tient tout simplement du sortilège.
TRAVIATA – Vous méritez un avenir meilleur – d’après La Traviata de Giuseppe Verdi, conception Benjamin Lazar, Judith Chemla, Florent Hubert, mise en scène Benjamin Lazar, arrangements et direction musicale Florent Hubert et Paul Escobar, scénographie Adeline Caron, costumes Julia Brochier, lumières Maël Iger. Avec udith Chemla, Damien Bigourdan, Jérôme Billy, Florent Baffi et les musiciens Renaud Charles, Axelle Ciofolo, Myrtille Hetzel, Bruni Le Bris, Gabriel Levasseur, Sébastien Llado, Benjamin Locher, Marie Salvat.
Théâtre des Bouffes du Nord, jusqu’au 30 septembre 2023
01 46 07 34 50 – www.bouffesdunord.com