Gennevilliers- Théâtre 2 Gennevilliers jusqu’au 14 février 2009

Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue de Ronan Chéneau

Ils ont la haine

Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue de Ronan Chéneau

Le tandem Ronan Chéneau/David Bobée avait fait une proposition intéressante la saison dernière au Théâtre de la cité internationale. Cannibales était un spectacle dynamique, en prise directe avec les préoccupations des jeunes sur un mode artistique transdisciplinaire assez pertinent pour laisser penser que le peu de profondeur du texte était volontaire. Avec cette nouvelle proposition, on découvre un spectacle paradoxal qui conjugue un texte désespéramment faible, en forme de tract en faveur de la lutte armée, très discutable politiquement, et une mise en scène, une scénographie (les deux de David Bobée) et des comédiens/danseurs exceptionnels. Le résultat, très étrange, suscite à la fois admiration et irritation. Ronan Chéneau, qui est en scène son propre lecteur, explique comment il n’a pas réussi à répondre à une commande du Centre chorégraphique national de Basse-Normandie d’un spectacle sur l’Afrique. Il répète inlassablement qu’il n’a pas les mots pour le dire. Pourtant parler de l’Afrique en France, de l’Afrique « invisible », est un sujet qui promettait des développements féconds ? Il y aurait effectivement tant à dire sur les questions de l’étranger, de l’identité, sur nos relations à l’’autre. Mais voilà, Chéneau se contente d’une poignée de slogans et d’un récit de son voyage au Congo d’une naïveté consternante dont l’enthousiasme sent la culpabilité du petit blanc. Si de ce voyage il ne rapporte pas l’ombre d’une idée intéressante, en revanche il ramène une compagnie de danse éblouissante.

Mise en scène et interprètes superbes

La chorégraphie (DeLaVallet Bidiefono) et la mise en images sont de toute beauté et d’une grande force d’expression. Tout se passe dans une salle d’attente d’aéroport (symbole de voyage touristique et de reconduite à la frontière). En fond de scène, des pistes d’envol sont suggérées avec lumières clignotantes et bruits de réacteur mais on y voit aussi des barres d’immeubles entrant en vibration cataclysmique au rythme d’une musique trépidante, ou encore un couple d’amoureux (il est noir, elle est blanche) dont les gestes d’amour se transforment en un tourbillon de fibres optiques conductrices de leur désir. Autre paradoxe, encore plus accentué que dans Cannibales, l’esthétique extrêmement sophistiquée correspond exactement à ce que le texte prétend dénoncer. On aurait d’ailleurs pu se passer de ce texte qui cherche ses mots et ne trouve que des formules de combat primaire, sans aucune analyse. Une des fonctions du théâtre est sans conteste politique ; il peut avoir pour vocation de dénoncer les failles de la société, de lui tendre un miroir. Ainsi fait par exemple l’Italien Fausto Paravidino. Mais ici, il n’y a pas de théâtre. Ce serait peut-être faire des concessions à cette société pourrie que d’imaginer que l’art est là pour transcender le réel et nous aider à réfléchir. On confond théâtre et meeting politique. Ce n’est pas le même langage. Inciter à la haine sans autre projet que de mettre le feu et sans offrir des clefs d’analyse pourrait relever de l’irresponsabilité politique ; encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions. Tout ceci est d’autant plus irritant que la forme superbe du spectacle et la jeunesse de ses interprètes ne peut que prendre au piège de jeunes spectateurs enclins, par leur âge, à la révolte. Le théâtre politique qui, par sa générosité, fera se lever la jeunesse pour bâtir un avenir meilleur n’est certainement pas celui-là.

Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue de Ronan Chéneau, mise en scène et scénographie David Bobée, chorégraphie DeLaVallet Bidiefono avec Yohann Allex, DeLaVallet Bidiefono, Ella Ganga, Alexandre Leclerc, Nicolas Lourdelle, Florent Mahoukou, Bobie Mfoumou, Séverine Ragaigne, Tanguy Simonneaux, Clarisse Texier, Ronon Chéneau (lecteur). Au théâtre 2 Gennevilliers du mercredi, vendredi, samedi à 20h30, mardi à 19h30, dimanche à 15h. jusqu’au 14 février 2009. Tél : 01 41 32 26 26.

Crédits photo : Tristan Jeanne-Valès

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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