Les Peintres au charbon de Lee Hall
Ouvriers à la mine le jour, artistes le soir
Il y a quelques années, un spectacle de Marion Bierry nous révélait la pièce de Lee Hall, Les Peintres au charbon, et sa belle traduction par Fabrice Melquiot. L’on découvrait surtout un moment exceptionnel dans l’histoire du XXe siècle : la création d’un groupe d’artistes ouvriers en Angleterre, entre 1934, l’Ashington Group, du nom de la ville du Northumberland, et son activité qui se poursuivit jusque dans les années 80. Lee Hall, que l’on connaît aussi par sa pièce Face de cuillère et par le scénario du film Billy Elliot, a reconstitué, avec une habile progression théâtrale, cette aventure sans équivalent. En 1934, un collectif de mineurs soucieux de se cultiver engagent un jeune professeur pour qu’il leur donne des cours sur l’art contemporain. Ne parvenant pas à faire comprendre des notions qui paraissent obscures ou prétentieuses, le professeur propose aux mineurs de saisir la peinture par la pratique : qu’ils fassent eux-mêmes des tableaux. Les ouvriers s’y risquent et créent des toiles qu’ils sont incapables de juger et qui, pour la plupart, reflètent leurs visions de la mine et de leur travail sous terre. A leur grand étonnement, des professionnels du monde de l’art s’intéressent à leur production. L’un d’eux se voit même offrir des mensualités pour qu’il quitte la mine et se consacre à la peinture. Le professeur donne confiance à chacun. Le mouvement de l’Ashington Group va exister au sein des arts plastiques anglais, faisant se côtoyer prolos, intellos et marchands.
Avec le spectacle du collectif La Cantine, l’on est au cœur de la mine : le sas d’entrée embaume (ou empeste) la fumée ou le charbon. Puis l’on prend sa place dans un dispositif bi-frontal où l’on assiste aux réunions des mineurs, tandis que, sur le mur du fond, s’inscrivent les titres des différentes étapes des rencontres et des expositions. L’important est de donner à chaque personnage son caractère, sa différence. Les acteurs, comme Hugo Bardin, James Borniche, Thomas Brazète, savent trouver la rudesse, le sens de l’affirmation, l’émotion sous la carapace, tandis que, dans le rôle du prof, Paul Emile Pêtre exprime à la fois le décalage culturel et la complicité. Les rôles de femmes (car il y a des femmes : un modèle et une directrice galerie) sont particulièrement bien tenus, dans une opposition savoureuse au monde des hommes, par Elodie Galmiche et Marie Petiot (en alternance avec Elise Fourneau). La troupe est jeune, manque parfois un peu de technique, mais elle porte l’oeuvre dans la sincérité et la vérité, avec pas mal d’imagination. Le metteur en scène, Marc Delva, a pris le parti de ne pas faire figurer des tableaux, de ne pas représenter la peinture au cours du spectacle, mais de les évoquer par des cadres vides ou blancs (on apercevra, à la toute fin, des reproductions des œuvres authentiques d’artistes de l’Ashington Group). Ce parti pris de simplification rejoint celui d’un jeu qui va directement aux traits essentiels. L’implication de cette troupe a quelque chose de l’engagement dans lequel les mineurs d’Ahington se sont impliqués. D’où un fort sentiment d’authenticité, et une nervosité qui rend la soirée passionnante comme un feuilleton.
Les Peintres au charbon de Lee Hall, traduction de Fabrice Melquiot, mise en scène et scénographie de Marc Delva, production Le collectif La Cantine, lumière de Julien Kosellek, création sonore de Luc Delva, costumes, coiffures et maquillages de Hugo Bardin, création mapping vidéo d’Arnaud Berthonneau et Romain Da Costa (Digital Essence), avec Hugo Bardin, James Borniche, Thomas Brazète, Solal Forte, Elodie Galmiche, Florent Hu, Marie Petiot (en alternance avec Elise Fourneau), Paul Emile Pêtre, Emmanuel Rehbinder.
Théâtre 13/Seine, 20 h, tél. : 01 45 88 62 22. (Durée : 2 h 05).
Photo Suzanne Rault-Balet.