Jusqu’au 26 mai à La Scala de Paris

Les Crabes de Roland Dubillard

Un monde qui marche de travers

Les Crabes de Roland Dubillard

On est au bord de la mer ; un jeune couple bien sage attend fébrilement l’arrivée de leurs locataires et celle du plombier car la baignoire fuit dangereusement, mauvais présage. Jusque-là rien de rare. Encore que… , pour tromper l’attente, ou parce que c’est l’heure de déjeuner, les hôtes s’installent inconfortablement de chaque côté d’une chaise qui fait office de table pour se gaver de crabes rouge vif en forme de gants de caoutchouc qu’ils sucent avidement tout en échangeant des propos plus ou moins étranges. Avec l’arrivée tonitruante des locataires, tout part en vrille, la situation et le langage perdent la boule. Deux vieux hurluberlus déboulent. Elle (Maria Machado) est dans tous ses états car leur chien a disparu. Lui (Denis Lavant), habillé à la diable, un galurin fatigué sur le crâne, de minuscules lunettes de soleil sur le nez, un pantalon sans âge, cultive le côté petite frappe incontrôlée, sans succès. Il fait une entrée fracassante en traînant sa valise éventrée d’où s’échappe un embrouillamini de câbles rouges. Il déclare qu’il a « noyé sa femme dans l’alcool pour l’oublier dans la salle de bain », puis s’inquiète plus tard de sa disparition car elle a avalé le chien qui portait une bombe. Pour finir il dézingue tout le monde à la kalachnikov, ses hôtes et sa femme. C’est l’affrontement de deux mondes, de deux générations, de deux milieux à travers une situation indescriptible et absurde qui bascule dans le tragique sans raison apparente. Il n’est pas aisé de trouver la bonne place et le ton juste pour interpréter ce texte alambiqué où les mots et les sons se télescopent dans un joyeux brouillage du sens.
Quoiqu’il pousse le curseur un peu loin, Denis Lavant est étourdissant dans ce registre hors normes. Maria Machado, qui à la création de la pièce en 1971 jouait la jeune fille aux côtés de Dubillard, est épatante en vieille dame indigne au verbe cru et aux manières des faubourgs. Pour ses débuts sur scène, Nèle Lavant (fille de Denis) tire joliment son épingle de ce jeu « abracadabrantesque », de même que Samuel Mercer en jeune homme bien calme pourvu qu’on ne lui cherche pas des noises. Ce « cauchemar comique », comme l’appelait Roland Dubillard, mis en scène par Franck Hoffmann, aurait pu s’intituler Fin de partie, si le titre n’avait pas été pris.

Les Crabes de Roland Dubillard. Mise en scène Frank Hoffmann. Avec Denis Lavant, Maria Machado, Samuel Mercer et Nèle Lavant. Scénographie Christoph Rasche. Visuels et Costumes Maya Mercer. Lumières Daniel Sestak. Musique René Nuss
Dramaturgie Charlotte Escamez et Florian Hirsch. Ingénieur son Guillaume Tiger. Montage vidéo Jean Ridereau. Assistante à la mise en scène Eugénie Divry. A la Scala de Paris jusqu’au 26 mai. Durée : 1h15.
© Maya Mercer

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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