Critique – Opéra & Classique

Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach

Inusable !

 Les Contes d'Hoffmann de Jacques Offenbach

Le soir du 3 novembre, ces Contes d’Hoffmann, si judicieusement mis en scène et en théâtre par Robert Carsen au printemps de l’an 2000, pouvait additionner 58 représentations sur la scène l’Opéra Bastille. Sans le moindre signe d’essoufflement quels qu’en soient les interprètes. La conception à la fois mozartienne et infiniment théâtrale de l’œuvre ultime de Jacques Offenbach a conservé toute sa fraîcheur, son inventivité et sa profondeur.

Inusable parce que si juste. Carsen place Hoffmann, poète en quête d’inspiration, fou d’amour d’une étoile lyrique, dans son habitat naturel : un théâtre. Ou plus exactement un opéra. Sa scène, ses coulisses, sa fosse d’orchestre, ses rideaux, ses fauteuils, son bar où le rêveur amoureux rejoint la troupe de figurants venus s’y désaltérer. Hoffmann leur raconte sa passion, réincarnée en trois femmes aux destins manipulés par le diable…

Pour cette sixième reprise le plaisir est resté intact de retrouver la splendeur des décors et des costumes de Michael Levine, tous ces lieux suspendus entre scène et salle, tous ces habits aux couleurs de carnaval et les lumières ciselées de Jean Kalman. Des surprises musicales étaient annoncées, des promesses à faire tanguer les cœurs. Jonas Kaufmann le ténor adulé allait chanter le rôle- titre et l’exquise Sabine Devieilhe devait endosser les mécanismes de la poupée Olympia. Tous deux, hélas, durent renoncer, pour raisons de santé, mauvaises pour lui – cordes vocales fatiguées -, bonnes pour elle en attente de ce qu’il est convenu d’appeler un heureux événement.

Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, la soprano Nadine Koutcher prend vaillamment la relève et révèle une jolie présence, les trilles, vocalises et suraigus d’une voix claire et maîtrisée dans les acrobaties que le personnage et la mise en scène lui impose. Manifestement elle y prend un plaisir qu’elle fait partager.

Remplacer Kaufmann relevait évidemment d’un pari plus difficile à tenir. Le choix du ténor mexicain Ramon Vargas peut s’expliquer par le fait qu’il a chanté le rôle, qu’il le connaît jusque dans l’intimité de ses notes. Mais le personnage séducteur qu’est censé être Hoffmann correspond mal à sa courte silhouette et à ses joues rebondies. Il est un Hoffmann clown, un rien patapouf qui fait merveille dans l’air de Kleinzach qu’il martèle joyeusement en dansant sur le comptoir du bar, mais il est plus difficilement crédible en amant errant sur les traces des femmes de sa vie. Ce charisme-là lui manque mais il en compense la carence par une ligne vocale d’une infinie fluidité, un souffle profond et une projection sans faille. Son Hoffmann est surtout à entendre.

En comédienne enjouée et soprano au timbre chaud, Stéphanie d’Oustrac s’empare de la Muse et de Nicklausse, manifestement plus à l’aise en compagnon de route du poète qu’en inspiratrice céleste. Elle a du bagout, de l’humour, une diction claire, de la souplesse de corps et de voix, un médium en parfait équilibre et des aigus qui s’envolent avec le plus grand naturel.

Antonia, la cantatrice maudite, qui défie l’interdiction de chanter que lui impose son père, trouve en Ermonela Jaho, un double douloureux, effaré, au timbre flamboyant et aux aigus de braise. Giuletta la vamp se moule dans la longue silhouette et les déhanchements lascifs de Kate Aldrich, mezzo au timbre étroit. La courte apparition de Doris Soffel en mère d’Antonia laisse un goût de mélancolie.

Roberto Tagliavini, jeune basse d’Italie, se charge avec vaillance des métamorphoses des quatre vilains, les quatre manipulateurs diaboliques qui font échouer tous les plans du pauvre Hoffmann et qui s’emparent de ses conquêtes. Sans doute n’est-il pas vraiment satanique avec ses airs d’homme chic, bien élevé et ses graves polis, mais son « Scintille Diamant », au troisième acte, finit quand même par donner des frissons. Yann Beuron, ténor haut de gamme tant de fois applaudi, se coupe ici en quatre – personnages - pour imposer son jeu délié et sa voix lumineuse toujours prête à se parer d’ombres et de morsures. Son Frantz, le sourd, remporte la palme tant par son jeu au comique amer que par la clarté volontairement voilée de son timbre.

Une autre promesse de cette reprise attendue fut tenue grâce à la présence dans la fosse du directeur musical maison, le grand Philippe Jordan, qui aborde pour la première fois ce chef d’œuvre inclassable dont Offenbach fit, en quelque sorte, son testament. Compositeur fêté pour ses innombrables divertissements musicaux aux airs qui font danser, il voulait leur ajouter un complément plus grave, une histoire, une musique qui s’inscrirait dans les répertoires dits « sérieux ». Mort brusquement durant les répétitions, il n’eut pas le temps de l’achever. Mais le pari fut tenu. Jordan en ressuscite la vitalité et les couleurs, ses tempi bondissants tout comme ses plages de nostalgie.

Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach, livret de Jules Barbier. Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Philippe Jordan, chef des chœurs José-Luis Basso, mise en scène Robert Carsen, décors et costumes Michael Levine, lumières Jean Kalman. Avec Ramon Vargas (et Stefano Secco les 20, 21 & 24 novembre), Stéphanie d’Oustrac, Roberto Tagliavini, Yann Beuron, Nadine Koutcher, Ermonela Jaho, Kate Aldrich, Doris Soffel, Rodolphe Briand, Paul Gay, François Lis, Cyrille Lovighi, Laurent Labardesque

Opéra Bastille les 3, 9, 12, 15, 18, 21, 24, 27 novembre à 19h30, le 6 à 14h30

08 92 89 90 90 - +33 1 71 25 24 23 – www.operadeparis.fr

Photos Julien Benhamou – Opéra National de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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1 Message

  • Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach 8 mai 2017 18:06, par Cadet Gérard

    J’ai apprécié à leurs justes valeurs les commentaires de C. Alexander sur les interprètes de cette représentation. J’ai surtout apprécié la bonne critique qu’elle fait de R. Tagliavini (descendu ou méprisé un peu partout chez les critiques de manière pour moi incompréhensible) J’ai trouvé ce jeune baryton italien parfaitement à l’aise dans la quadruple tessiture et interprétation : il n’a rien d’histrionique mais fait passer énormément de choses par la diction irréprochable, la projection de la voix et l’intelligence des rôles (4 différents et cependant le même : bravo. J’ai entendu et vu ce baryton-basse en Ferrando du Trovatore : parfait ! Pour moi, la découverte du moment ! Et quel dommage quand même d’avoir loupé le rendez-vous Hoffmann-Kaufmann : c’est le rôle français fait pour lui (voix, lyrisme, comédie : son Kleinzach et tout l’acte d’Antonia doivent être extraordinaire ! Il nous la faut cette prise de rôle mais pas mise en scène par un briseur de chef-d’oeuvre : pas de Tcherniakov, ni de Warlikovski, ni surtout Marthaler qui crucifie Offenbach chaque fois qu’il s’en approche !(la gde duchesse, la vie parisienne, Hoffmann) : pourquoi ne pas demander à MacVicar, ou graham Wick. ET surtout avec une version Kaye-Keck sans dialogues parlés, faisant la part belle à Nicklausse ( Elina Garanca ?) et à une Giulietta assimilée vocalement à Olympia (Sabine Devieilhe). A la baguette Pappano ou Nézet-Séguin. Eric Huchet est aussi parfaitement à l’aise dans les trials. Voilà, j’ai tout dit (comme Escamillo !) Vive Offenbach, respecté et dont l’annversaire du bicentenaire de la naissance approche à grands pas !!! J’espère que l’on fera pour lui autant que pour Wagner et Verdi ! Et il y a tellement de chefs-d’oeuvre méconnus : tenez : Boule de Neige ! Allez y mettre votre nez et vos oreilles ! Fantasio a ouvert certaines portes... Laissez entrer Boule de Neige ! S’il vous plaît !

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