Barcelone - Gran Teatre del Liceu

Le portrait de Manon de Jules Massenet et La Voix Humaine de Francis Poulenc

Un jeu de miroirs inattendu

Le portrait de Manon de Jules Massenet et La Voix Humaine de Francis Poulenc

Le tout Barcelone lyrique s’était donné rendez-vous le 27 mai afin d’assister à la représentation du « Portrait de Manon », pièce connue de seuls quelques connaisseurs. Le résultat fut à la hauteur des espérances. Ce curieux opéra signé Jules Massenet et créé à l’Opéra Comique en 1894, dix ans après l’immense succès de « Manon », propose un corollaire étonnant au drame sulfureux de la prostituée amoureuse. L’histoire, totalement inventée par Georges Boyer auteur du livret, montre des Grieux quelques années après la mort de Manon –et devenu baryton entre-temps -, nostalgique et méfiant de l’amour au point de refuser à son jeune protégé, d’épouser une certaine Aurore à la filiation peu claire. Or celle-ci est en réalité la nièce de Manon et sa ressemblance avec sa tante – révélée par un portrait que des Grieux a gardé précieusement – est la clé qui ouvre le cœur du protecteur et rend possible l’union des deux enfants : l’amour mérite que l’on prenne le risque de vivre un drame. La simplicité de la mise en scène de David Lefkowich, et la qualité des voix ont été le gage du succès de la représentation. Paulo Szot a été un des Grieux mystérieux, lugubre, enfermé dans son secret. Le couple d’amoureux, Janja Vuletic (Jean, rôle travesti) et Isabel Rey (Aurore) ont rendu crédible leur attirance réciproque et leur joie finale. Gordon Gietz dans le rôle de Tiberge, le protecteur d’Aurore a bien complété la distribution.

Alors que l’attente de la nuit se centrait sur « Le portrait », la grande, l’immense surprise vint d’Ángeles Blancas, qui fut une extraordinaire « Voix humaine » et porta le célèbre texte de Jean Cocteau mis en musique par Francis Poulenc au summum de son expression dramatique. Elle mit son excellente diction au service d’une fine compréhension du rôle toujours en parfaite adéquation avec la situation dramatique. Elle a su donner la juste mesure du désespoir du personnage, toute à la tentative de récupérer l’amour de son amant. De la résistance première à l’abandon final, en passant par une acceptation progressive de la défaite. Mais, supplie-t-elle, que l’être aimé ne descende pas à l’hôtel de Marseille où ils allaient ensemble autrefois, accompagné de sa nouvelle femme…

Saluons aussi le travail du metteur en scène Christoph Meyer qui a mesuré au millimètre près la gestuelle juste et nécessaire pour exprimer le crescendo de l’histoire comme l’exigent le texte et la musique.

Voici deux œuvres, sans liens apparents, qui se correspondent cependant à bien des égards. Si le changement d’attitude de des Grieux est bien le fruit du regard porté sur le portrait, c’est le regard, rendu impossible dans « la voix », qui aurait pu sauver - qui sait - la situation de la femme désespérée : « avant, un regard pouvait changer tout. Mais avec cet appareil (le téléphone), ce qui est fini est fini », dit-elle. De même, tel le des Grieux ayant transcendé la perte de Manon, on peut imaginer que l’héroïne de Jean Cocteau pourra transformer son chagrin en favorisant un autre jeune amour.

Jaume Estapa i Argemi

« Le portrait de Manon » Opéra comique en un acte, livret de G.Boyer fondé sur le roman « L’histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut » d’Antoine-François Prévost. Production du Gran Teatre del Liceu. Mise en scène de David Lefkowich. Décors de Ramón Ivars. Direction musicale de Josep Vicent. Chanteurs : Isabel Rey, Paulo Szot, Janja Vuletic, Gordon Gietz.
« La voix humaine », tragédie lyrique en un acte, livret de Jean Cocteau, fondé sur sa pièce homonyme. Production du Gran Teatre del Liceu. Mise en scène de Christoph Meyer. Décors de Ramón Ivars. Direction musicale de Josep Vicent. Chanteurs : Ángeles Blancas. Gran Teatre del Liceu les 25 et 30 mai et le 2 juin 2007
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Photos : Antonio Bofill

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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