Opéra National de Paris – Bastille jusqu’au 30 juin 2011
Le Crépuscule des dieux de Richard Wagner
Fascination musicale pour l’affligeante fin de parcours d’un Ring qui ne tourne pas rond
- Publié par
- 7 juin 2011
- Critiques
- Opéra & Classique
- 4
On en attendait tant ! Le prologue et les trois journées de l’Anneau du Nibelung, la tétralogie wagnérienne qui fait courir les foules, n’avaient plus été produits par l’Opéra National de Paris depuis 1957, plus d’un demi-siècle ! En deux saisons, de l’Or du Rhin au Crépuscule des dieux en passant La Walkyrie et Siegfried, les conceptions, mises en images et en scène du metteur en scène allemand Günter Krämer, ont anéanti les espoirs et fait couler un navire qui aurait dû trouver sa place dans le répertoire de la grande boutique lyrique parisienne. (Voir webthea des 8 mars 2010, 15 juin 2010 & 7 mars 2011).
La musique, heureusement, y a le plus souvent trouvé son souffle et son dynamisme dans une humeur que le jeune Philippe Jordan, directeur musical de la maison, a voulu et réussi à faire entendre : dans la douceur des rêveries et le temps ralenti de l’imaginaire. Malgré son niveau d’excellence, l’orchestre de l’Opéra National de Paris, n’a pas été à 100%, de bout en bout, en osmose avec ce parti pris de respiration lente. Il y eut quelques très rares moments de creux, comme des soudaines absences. Mais un Wagner jamais martelé, aux galops retenus, aux éclats dépourvus d’éclaboussures, est une perle si précieuse qu’on ne peut que s’en réjouir.
Les poncifs les plus éculés
Ce que l’on entend, faut-il le repréciser, s’inscrit donc à l’opposé de ce que l’on voit. Malgré une sobriété inattendue lors du prologue et du début du premier acte qui a fait croire à une sorte de Crépuscule de rédemption, les débordements extravagants et les poncifs les plus éculés ont rapidement repris le dessus. Les lumières du premier tableau avec les trois nornes en ombres chinoises sur un plateau tournant sont belles, même si on se demande quoi rime la silhouette d’une vieille femme encapuchonnée de noir qui promène un enfant cloué sur une chaise roulante. On comprendra au dernier acte qu’il s’agit d’Alberich, père et nounou supposée d’un Hagen handicapé moteur de naissance (???). En termes de détournement de sens abscons Krämer ne recule devant rien. Une seule belle idée reste à retenir de l’ensemble, celle de cette échelle céleste que grimpe échelon par échelon le manteau de Siegfried mort pour accéder au Walhalla.
Bouffonneries de carnaval allemand
Pour le reste, soit 5 heures et 45 minutes de spectacle, entractes compris, c’est au crépuscule d’une Allemagne plus beauf que petite bourgeoise qu’on assiste où la pauvre Brünnhilde, ex-Walkyrie humanisée par l’amour s’est muée en bobonne permanentée au cou serti d’un obligatoire trois rangs de perles. La suite plonge dans les bouffonneries des « Faschings », ces carnavals allemands tant prisés à Münich et à Cologne, guirlandes et oriflammes, brasseries où coule à flot la bière, où les serveuses virevoltent en tabliers de « Dirndl », ces paysannes du sud de l’Allemagne et de l’Autriche, où le chœur devenu armée rouge chaloupe enlacé en brandissant des petits drapeaux blancs piqué de noir… Vu la laideur, on n’en fera pas un inventaire à la Prévert.
La direction d’acteurs est aux abonnés absents. Chacun chante et joue comme ils/elles-le peuvent. Souvent très bien : Torsten Kerl a bien des atouts pour incarner Siegfried, la naïveté, un brin de balourdise et un timbre de ténor héroïque, certes subtil mais dépourvu de volume. Par moments on l’entend à peine. Katarina Dalayman, soprano wagnérienne rodée à tous les grands rôles du répertoire, en revanche a du coffre à revendre, une projection droite et dure, des aigus aériens mais des graves qui parfois s’enlisent et créent une distorsion entre le chuchotement et le cri. Sa Brünnhilde s’affirme d’acte en acte et finit par rayonner comme l’astre de malédiction qui est son destin.
Philippe Jordan sauve la mise et sert Wagner comme le mérite son génie
L’adorable Sophie Koch a la rude tâche de défendre le très long plaidoyer de Waltraute (en s’adressant à une Brünnhilde qui range sa vaisselle dans un buffet de faux Biedermeier) : une prise de rôle dont elle se tire magnifiquement, la voix forçant un peu sur lampleur mais en équilibre et engagement avec son personnage de messagère. Iain Patterson, baryton basse venu d’Ecosse, incarne un Günther tourmenté aux accents de tragédien. Pour sa première apparition sur la scène de l’Opéra de Paris, la soprano allemande Christiane Libor, souvent entendue au Châtelet, boudinée dans un tailleur en solde, souffre à la fois de ce costume ridicule et de l’absence de direction d’acteur qui l’isole. Si on ne comprend ni au début, ni à la fin pourquoi Hagen est poussé en fauteuil roulant, la voix, la diction, la présence et le magnétisme de la basse allemande Hans-Peter König, en font le triomphateur de la soirée. Avec Philippe Jordan qui aura tout fait pour sauver la mise et fait entendre la musique de Wagner comme le mérite son génie.
Le crépuscule des dieux de Richard Wagner, orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Philippe Jordan et Patrick Marie Aubert, chef du chœur. Mise en scène Günter Krämer, décors Jürgen Bäckmann, costumes Falk Bauer. Avec Torsten Kerl, Katarina Dalayman, Sophie Koch, Iain Paterson, Hans-Peter König, Peter Sidhom, Christiane Libor, Nicole Piccolomini, Caroline Stein, Daniela Sindram .
Opéra Bastille, les 4, 8, 18, 22, 3 juin à 18h, les 12 & 26 juin à 14h.
08 92 89 90 90 - +33 1 71 25 24, 23 – www.operadeparis.fr
Crédit : Opéra de Paris, Elisa Haberer