La Comédie italienne a fermé ses portes

E finita la commedia ?

La Comédie italienne a fermé ses portes

La Comédie italienne a fermé ses portes

E finita la commedia ?

Au cours de la journée, les portes de la Comédie italienne, rue de la Gaîté, sont parfois ouvertes. L’après-midi surtout. Le directeur, Attilio Maggiulli, et son équipe ont mis en vente leur fonds de costumes et d’éléments de décor. Au moment où nous sommes là, un cheval de bois coloré est porté vers le coffre d’une voiture. « Là, je suis content, dit Maggiulli. Ce cheval est acheté par un théâtre forain. Il continuera à avoir une vie théâtrale. » Dans la salle, les tenues d’Arlequin ou de Pantalon, des robes chamarrées, des masques de cuir cachent les murs, envahissent les rangées de fauteuils. Il y a quelques acheteurs : ils doivent prouver qu’ils sont des artistes et non des brocanteurs pour accéder à cette manne arlequinesque aux prix très abordables.
C’est fini, la Comédie italienne ? Peut-être. Elle a en tout cas cessé de fonctionner le 23 avril, après la dernière d’Une joyeuse et délirante villégiature, une variation de Maggiulli d’après Goldoni et Casanova. Goldoni ! C’était l’auteur maison. 90% du répertoire joué ici, depuis 1974 (et 1980, si l’on s’en tient à la forme actuelle du théâtre, tel qu’il a ouvert cette année-là) fut du Goldoni, mais du Goldoni revu par Maggiulli, en toute liberté, dans un esprit de farce, avec des allusions insolentes à l’actualité, et dans la fidélité à la beauté fantasmagorique des architectures italiennes. Sur une scène de poche, les trompe-l’œil et les jeux de miroirs permettaient - non, employons le présent -, permettent de donner l’illusion de palais profonds et de lieux divers et parallèles. L’élégance de la scénographie est un écrin pour l’apparente grossièreté du texte et du jeu. Mais cette grossièreté est de l’art. Arlequin, c’est un style populaire qui porte en lui toute une civilisation.
A la création, Giorgio Strehler, dont Maggiulli fut l’assistant, Beckett, Mnouchkine, Lecoq aidèrent ou applaudirent Maggiulli, son épouse Hélène Lestrade (la « prima donna », immense actrice) et leurs partenaires. Le public suivit. Ce fut une grande aventure, d’une vitalité brillante et étourdissante, à l’intérieur de l’histoire du théâtre parisien, où, dans le passé ancien et le passé récent, les comédiens italiens eurent souvent un rôle capital. Mais, ces dernières années, les conditions économiques ont rendu la vie des petits théâtres extrêmement malaisée. Or la salle de Maggiulli fait moins de 100 places. Son activité multiple (ateliers, spectacles pour enfants) lui a permis de garder la tête hors de l’eau – tout en donnant le goût d’un art essentiel aux collégiens et lycéens. Et il y eut le beau et fol acte de révolte de Maggiulli : lâché par l’Etat et la ville de Paris, il prit sa voiture et alla la percuter contre les grilles de l’Elysée, le 26 décembre 2013. Au lieu d’honorer ce geste artistique, digne des grands surréalistes, le ministère de l’Intérieur envoya Maggiulli à Sainte-Anne et le fit soigner comme s’il était fou !
A présent, il n’y a plus que la région Ile De France qui donne un peu d’argent à la Comédie italienne. Mais que décidera l’équipe de Valérie Pécresse ? Qui pourrait aider une salle obligée d’accepter le statut privé et que la banque CIC a parfois empêché de couler ? Il faut pourtant sauver l’arlequin Maggiulli. Il y a des dettes, une partie des murs est hypothéquée (car Maggiulli possède les murs du n°17, mais pas ceux du n°19, alors que le théâtre occupe ces deux numéros de la rue !). « Je ne sens nullement dépassé car les jeunes générations et les enseignants sont avec nous, dit Maggiulli. Si nous sommes en mesure de rouvrir, je m’adresserai prioritairement aux jeunes pour transmettre un art et une technique de jeu. Nous avons été soutenus par les tutelles culturelles tant qu’elles ont été dans les mains des gens de culture. Les technocrates ont tout abîmé, et Vigipirate nous a fait tomber, financièrement, encore plus bas. Je ne veux pas louer la salle, je veux qu’elle prolonge cette aventure qui a défendu un théâtre entre Goldoni et Gozzi. S’il le faut, je continuerai dans une chambre de bonne. »
A l’heure actuelle, la seule proposition d’apports financiers est venue d’une chaîne de pizzerias, à laquelle Arlequin a claqué la porte.

Comédie italienne 17-19, rue de la Gaîté 75014 Paris, tél. : 01 43 21 22 22.

Sur la photo : Hélène Lestrade, Vincent Morisse, David Clair. Photo DR.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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