Paris-Théâtre Rive gauche

L’Habilleur de Ronald Harwood

Sauver le monde par l’art

L'Habilleur de Ronald Harwood

Ce n’est pas la première fois que Laurent Terzieff s’intéresse à Ronald Harwood. Déjà en 1993, il avait superbement mis en scène et interprété Temps contre temps (avec Pascale Boysson, Françoise Bertin et Michel Etcheverry), une pièce qui se déroule en Afrique du Sud d’où est originaire l’auteur anglais. On se souvient aussi de sa pièce sur le chef d’orchestre Furtwängler, A torts et à raisons mise en scène par Marcel Bluwal avec Michel Bouquet et Claude Brasseur. Harwood qui s’intéresse aussi au cinéma, a signé, entre autres, l’adaptation du film de Polanski Le Pianiste. Sauver le monde par l’art, c’est un thème qui traverse l’œuvre de l’écrivain comme dans cet habilleur qui fit l’objet d’un film en 1984 réalisé par Peter Yates avec Albert Finney et Tom Courtenay. La pièce fut créée en français en 1980 avec Jacques François dans le rôle de Norman et Jean-Pierre Marielle dans celui de Sir John. Dans la nouvelle traduction de Dominique Hollier, Sir John est devenu Le maître, un glissement de sens pertinent.

Jeux de miroir

Le Maître, Laurent Terzieff, et son habilleur, Claude Aufaure, forme un couple incroyable, monstrueux et pathétique, indissociable, vivant l’un par l’autre. Le premier, ombre portée du Minetti de Thomas Bernhardt, est un vieil acteur shakespearien (personnage inspiré d’un acteur de la Shakespeare Company) qui doit interpréter Lear pour la 227ème fois dans des conditions épouvantables. Tout trahit la pauvreté des moyens, la vétusté des locaux, des costumes de bric et de broc, un théâtre à l’image de l’acteur qui mène un combat pour arracher encore quelques battements à son cœur fatigué. Mais la machine humaine s’enraye, s’essouffle et l’homme perd la tête. Grâce aux efforts surhumains de son habilleur et bouffon, et à sa vanité surdimensionnée, il trouvera la force de jouer encore une fois. Il use de l’autorité des chefs les plus tyranniques, s’égare aux confins de la folie, mélange les rôles shakespeariens, Othello, Macbeth (sa femme, Nicolle Vassel, s’appelle Lady M). Hagard, spectral et christique, perdu dans sa vie comme sous son écrasant manteau d’hermine et sa lourde couronne, il toise les uns, méprise les autres, éructe, bougonne, s’absente à lui-même, est comme un enfant entre les mains de son habilleur qui babille sans cesse, invente deux cents histoires vraies à la minute pour réamorcer la pompe vitale de l’acteur. Dans ce jeu de maître et esclave, Claude Aufaure est le fou du roi. Il le joue filou et patenôtre et exprime fort justement les sentiments contradictoires qui l’attachent à son maître. Sans son habilleur, ce vieil acteur n’aurait peut-être pas résisté si longtemps, usé par les tournées obscures en pleine seconde guerre mondiale avec sa bande de bras cassés. Irène (Emilie Chevrillon) est prête à toutes les compromissions pour réussir, Thornton (Jacques Marchand) n’en revient de remonter sur les planches à son âge, mr Oxenby (Philippe Laudenbach) traîne sa patte folle et sa rogue, la régisseuse Madge Michèle Simonnet), derrière ses airs sévères, nourrit un amour sans faille pour le Maître. Quand, vacillant, il s’avance vers les lumières de la scène, le corps inerte de sa fille Cordélia dans les bras, c’est comme un adieu à la vie. Le texte joue de tous les registres, tragique, mélodramatique, comique, d’une plume inventive et nerveuse. Il met en abîme Shakespeare à plusieurs degrés jusqu’au couple formé par l’acteur mégalomane convaincu de sa mission et son habilleur, transposition de tyran royal qui flirte avec la folie et de son fou. Il est aussi un magnifique hommage au monde du théâtre et aux acteurs et semble avoir été écrit tout exprès pour Terzieff qui nous offre là un de ses rôles plus réussis.

L’Habilleur de Ronald Harwood, mise en scène Laurent Terzieff, avec Laurent Terzieff, Claude Aufaure, Emilie Chevrillon, Philippe Laudenbach, Jacques Marchand, , Michèle Simonnet, Nicolle Vassel. Au théâtre Rive Gauche du mardi au samedi à 21h, samedi à 17h. Durée : 2h30. Tél : 01 43 35 32 31.

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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