Jusqu’au 20 octobre au Cent Quatre, Paris
Hamlet-Dans les plis du temps, de Christiane Jatahy
La formidable Clotilde Hesme ne parvient pas vraiment à sauver cette relecture féministe absconse de la pièce de Shakespeare.
Tout commence plutôt bien. Sur un rideau de tulle transparent qui ferme la scène apparaît la silhouette de plus en plus précise, tel un hologramme en gros plan, du roi défunt du Danemark (joué magnifiquement par Loïc Corbery). La figure s’avance jusqu’à prendre tout l’espace, révélant le meurtre dont il a été victime, tué par son propre frère qui a ensuite épousé sa veuve. Derrière le rideau se tient son fils, Hamlet, devenu femme (jouée par Clotilde Hesme) à qui le défunt commande de le venger. Et puis cela se dégrade, devient confus malgré la richesse, la sophistication même d’une scénographie extrêmement rodée et néanmoins absconse. Car à moins de connaitre parfaitement la pièce de Shakespeare, ses enjeux scéniques (théâtre dans le théâtre) et sa foule de personnages, on peine à suivre cette réécriture moderne.
Intrication théâtre/vidéo, relecture contemporaine d’un texte mythique, transformation de l’intrigue, ajouts de texte incompréhensibles, musiques tonitruantes et chants a cappella, cris, éructations, hystérie communicative … tous les tics du théâtre contemporain richement doté sont dans cette adaptation du Hamlet de Shakespeare par Chritiane Jatahy. Ne manque que la nudité (et pour cause !) dans cette vision féministe du non-héros shakespearien, adolescent nimbé de mystère et de poésie, conçu au tournant du XVIIème siècle, transformé en héraut très contemporain de la lutte contre le patriarcat. On attendait un peu plus de subtilité de la part de la très talentueuse dramaturge, metteuse en scène et cinéaste d’origine brésilienne, associée au Cent Quatre Paris, dont on a aimé les adaptations radicales des classiques : Strindberg, Tchekhov, L’Odyssée, Macbeth …
L’intrigue en effet est réécrite d’un point de vue féministe, où le tyran est à renverser et avec lui le système de domination masculine qu’il incarne. Que se passerait-il si Hamlet, après quatre siècles, devenait une femme empêtrée dans la remémoration, le rembobinage d’un passé qui ne passe pas ? En guise de thérapie, elle se repasse jusqu’à la nausée le film du funeste mariage de sa mère, Gertrude, et de son oncle fratricide, Claudius, tandis que le corps de son père n’était pas encore froid.
Transformation de l’Histoire
Dans une perspective volontariste de changement, de transformation de l’histoire (dans tous les sens du terme), la réécriture tout en préservant la quasi-totalité du texte de Shakespeare, se concentre donc sur un trio de femmes. Au centre, Hamlet, personnage dont l’androgynie a toujours été soulignée, joué entre autres par Sarah Bernhardt et plus récemment Anne Alvaro, a définitivement basculé dans l’autre sexe. Devenu une femme moderne, elle vit dans le traumatisme du meurtre du père, au milieu d’un espace mental où, sous la forme de visions, la tragédie se rappelle à elle à travers des symptômes corporels, dont les vomissements. Comprendre : à son corps défendant, Hamlet a été complice de tout un système de violence et de mort à cause de son désir de vengeance mais ne veut plus l’être.
Autour de lui, il y a sa génitrice Gertrude, mère possessive, superficielle et alcoolisée qui se complait dans un monde dont elle n’a pas conscience d’être le jouet. Et Ophélie, sa fiancée (jouée par une actrice portugaise, Isabel Abreu, car elle est étrangère), devenue elle aussi femme mûre qui ne peut plus supporter d’avoir été si longtemps enfermée dans l’image de la naïve, la fragile jeune fille gagnée par la folie douce.
La scénographie, richement dotée et rondement menée, place les personnages dans l’espace intime d’un salon bourgeois design et cossu, avec cuisine intégrée et salle de bains attenante servant de coulisses. Le décor impeccable avec grand écran de cinéma en fond de scène se transforme en invraisemblable capharnaüm à mesure que la pièce avance et que les passions s’exacerbent. Les personnages pris au piège de cet univers étouffant peuplé de fantômes, s’invectivent sans relâche, toujours entre deux verres. Pas de place ici pour la respiration ni pour l’émotion.
On est en revanche bluffé par l’interprétation de Clotilde Hesme qui toute cuirassée de noir s’engage corps et âme dans ce rôle très exigeant. La comédienne joue, chante, danse, pleure, vomit… avec une énergie et une élégance qui forcent l’admiration. Notamment dans le fameux monologue « être ou ne pas être » qu’elle rejoue plusieurs fois avec un art consommé de la nuance.
Avec Servane Ducorps qui joue magnifiquement le personnage de sa mère Gertrude, elle compose un duo de la névrose familiale qui apparaît finalement comme le vrai sujet de la pièce revue et corrigée par Chritiane Jatahy.
Hamlet - Dans les plis du temps, d’après William Shakespeare, de Christiane Jatahy, jusqu’au 20 octobre 2024, https://www.104.fr/
Avec Isabel Abreu, Tom Adjibi, Servane Ducorps, Clotilde Hesme, David Houri, Tonan Quito, Matthieu Sampeur.
Mise en scène, adaptation, scénographie : Christiane Jatahy. Traduction : Dorothée Zumstein. Collaboration artistique, scénographie, lumière : Thomas Walgrave. Direction de la photographie, caméra : Paulo Camacho. Costumes : Fauve Ryckebusch. Système vidéo : Julio Parente. Musique originale : Vitor Araujo. Conception son : Pedro Vituri.
Tournée :
Du 20 au 22 novembre, La Comédie de Clermont – Ferrand, scène nationale
Du 06 au 07 décembre, DeSingel, Anvers (Belgique)
Photo : Simon Gosselin