Paris, théâtre de l’Atalante jusqu’au 7 octobre 2011
Ecrire de Marguerite Duras
La chair des mots
Après La Maison (voir article du 7 avril 2011), Jeanne Champagne poursuit son exploration d’un certain pan de l’œuvre de Marguerite Duras avec Écrire, également interprété par Tania Torrens. D’emblée, on perçoit ce spectacle comme le second volet d’un diptyque tant sa construction et sa mise en scène s’articule avec le précédent spectacle pour délivrer un sens global. Le propos de Jeanne Champagne apparaît clairement : dans La Maison, elle nous conduit de la clarté du jour à l’obscurité des souterrains, de la légèreté de l’écriture et de la pensée aux espaces intérieurs les plus obscurs. Avec Écrire, testament littéraire de l’auteur, Duras creuse, non sans douleur, la question de la difficulté de l’écriture, voire de sa tyrannie qui impose une solitude absolue et suscite à la fois une vraie jouissance : « écrire pour découvrir ce que l’on écrirait si on écrivait ». Et puis, peu à peu, des profondeurs où elle était descendue, au risque de se perdre, elle remonte, tel le spéléologue de la pensée, vers la lumière de la vie :« Cette maison, elle est devenue celle de l’écriture. Mes livres sortent de cette maison. De cette lumière aussi, du parc. De cette lumière réverbérée de l’étang. Il m’a fallu vingt ans pour écrire ça que je viens de dire là. » La mort sourdre entre les lignes et son évocation culmine dans l’incroyable description de l’agonie d’une mouche.
Still life (nature morte)
Le dispositif scénique est similaire à celui de La Maison. La table de cuisine a laissé la place à la table d’écriture et les légumes ont disparu, restent les objets, organisés comme une nature morte avec la machine à écrire, un vieux dictionnaire, le verre de vin, une rose passée dans un vase, une lampe de chevet doté d’un petit abat-jour désuet en tissu plissé, par terre une valise, des chutes de bande magnétique. Un vieux magnétophone Revox tourne faisant entendre le léger frottement de la bobine, il enregistre la voix Tania Torrens. De temps à autre une vieille sonnerie de téléphone retentit dans le vide, accusant la solitude des lieux. Dans un coin, un fauteuil de cinéma tisse un lien discret avec l’autre passion de Duras dont il sera question dans la reprise du spectacle Eden cinéma (une adaptation d’Un barrage contre le Pacifique) à Malakoff au printemps prochain. La haute stature de Tania Torrens n’évoque en rien Duras et pourtant, sa présence presque austère, tendue, nous ravit à la réalité pour nous emporter dans l’espace abstrait de la pensée de Duras qui dans cet instant nous semble d’une évidente familiarité. Un travail subtil d’adaptation d’un texte littéraire à la scène, un peu la spécialité de Jeanne Champagne, et une performance d’acteur remarquable.
Ecrire de Marguerite Duras, mise en scène Jeanne Champagne. Scénographie, Gérard Didier. Lumières, Franck Thévenon assisté de Jean-Jacques Nicaud (Equinoxe, Scène Nationale de Châteauroux). Son, Bernard Valléry. Avec Tania Torrens. Au théâtre de l’Atalante
lundi, mercredi, vendredi à 20h30 ; jeudi, samedi à 19h00 ; dimanche à 17h00 ; relâche le mardi Durée : 1h. Tel : 01 46 06 11 90.
www.theatre-latalante.com
Photo Laurencine Lot
Autour du spectacle :
Vendredi 23 septembre 2011 à 17h30
Conférence de Joëlle Pages-Pindon, professeur de Chaire supérieure de Lettres et spécialiste de l’œuvre de Marguerite Duras.
« L’écriture chez Duras : expérience existentielle et poétique de la langue »
Jeudis 22, 29 septembre et 6 octobre 2011
Rencontre entre les artistes et le public à l’issue des représentations
A venir :
La Maison de Marguerite Duras, mise en scène Jeanne Champagne au Théâtre 71 à Malakoff du 6 au 8 décembre 2011.
