Gran Teatre del Liceu (Barcelona. Espagne)

“Don Carlos” de Giuseppe Verdi

Une histoire qui ne fait pas bon ménage avec l’Histoire.

“Don Carlos” de Giuseppe Verdi

Pour la première fois de son histoire le Liceu a accueilli cet hiver la version originale française du « Don Carlos » de Giuseppe Verdi (1867). L’événement n’a pas échappé à la revue « Opéra Actual » - seule publication espagnole entièrement consacrée à l’art lyrique-, qui dans son numéro de janvier lui a consacré dix pages, et ce dans un double but : désamorcer la perplexité de ses lecteurs devant une œuvre de Giuseppe Verdi chantée en français, et revaloriser la signature du metteur en scène Peter Konwitschny, dont le malheureux « Lohengrin (à l’école) » est resté dans les mémoires barcelonaises.

« Don Carlos » , opéra phare de la production verdienne, est fidèle à la pièce de Friedrich von Schiller. En revanche elle ne l’est guère à l’Espagne de Philippe II : pour ménager les effets de son oeuvre, l’auteur romantique s’est cru autorisé à remanier la vérité historique. Il est vrai que Don Carlos (fils aîné de Philippe II) et Elisabeth de Valois (fille d’Henri II et de Catherine de Médicis) avaient le même âge et qu’ils éprouvaient une sympathie réciproque. Il est aussi vrai que lors de la paix de Cateau-Cambrésis (1559) entre l’Espagne et la France – ils avaient alors 14 ans- on pensa les marier. Finalement, pour mieux consolider l’union des deux pays c’est Philippe II qui épousa Elisabeth. Celle-ci ne trouva donc guère d’attraits à son époux, son caractère renfermé l’intimidait, mais elle fut une bonne et fidèle épouse, elle lui donna trois filles, et pendant les neuf années que dura leur union – Elisabeth mourut en couches en 1568 –, la paix et l’harmonie régnèrent au sein de la famille royale espagnole.

Pour rétablir la vérité historique on pourrait aussi rappeler le rôle politique majeur de la Princesse d’Eboli, belle et borgne, issue d’une très puissante famille, les Mendoza, moins amoureuse de Don Carlos qu’intéressée par le pouvoir. Elle fut l’amante d’Antonio Pérez, l’initiateur de la « Légende noire espagnole » et non de Philippe II qu’elle combattit au contraire pendant longtemps. On pourrait rappeler encore l’attitude de l’empereur Charles V favorable aux méthodes de l’Inquisition contre les protestants au cours des dernières années de sa vie, compromettant en cela les premiers pas du règne de son fils. Il est d’ailleurs avéré que l’Inquisition espagnole, depuis sa création en 1478 par les Rois Catholiques - arrière grand parents de Philippe II-, fut toujours soumise au pouvoir royal, au grand dam du Vatican, et non l’inverse. Un dernier détail chronologique : l’Escorial fut achevé en 1584 et donc, ni Philippe II, ni Elisabeth, ni Don Carlos, ne pouvaient s’y trouver avant 1568. Quant au reste, l’âme en peine de feu Charles V n’a assurément pu croiser ni Don Carlos ni Elisabeth au monastère de Yuste (Saint Just) car ils n’y ont jamais mis les pieds.

La mise en scène de Peter Konwitschny se limite à une « mise en espace » linéaire et impersonnelle, marquée cependant par deux « événements » diversement appréciés par le public. Le premier transforme le ballet « de la Reine » - devenu ici le « Rêve d’Eboli » - en pantomime, superbement jouée par les chanteurs eux mêmes. L’histoire, en parfaite adéquation avec la musique, dessine et suit les supposées aspirations petites bourgeoises de la princesse d’Eboli. Tout cela dans un décor rappelant les années 50 et l’ « american way of life ». La seconde représente pendant l’entracte la scène de l’autodafé qui se déroule dans l’ensemble du théâtre. Grâce à une chaîne de télévision fermée, le public peut suivre simultanément l’arrivée des rois dans un style très « people », et celle des condamnés, conduits à coups de matraques par la police dans le style violent du « Living Theatre » des années soixante. La scène est couronnée par un effet d’un goût abject : les âmes des hérétiques morts au bûcher sont accueillies au ciel guidés par le chant d’une « Marilyn » de pacotille tandis que la salle est inondée de tracts qui s’avèrent être des photos de juifs déportés.

A la décharge du régisseur, unanimement lynché par le public et la presse locale, nous avancerons que la longueur de la pièce et son caractère solennel autorisent une récréation – la pantomime – à la manière du théâtre des âges classiques, qui ne s’interdisait pas d’intercaler des petites pièces à l’intérieur des grandes, pour distraire un instant le public et maintenir ainsi son attention jusqu’au bout de la soirée. En ce qui concerne la scène de l’autodafé, la vision réaliste de la violence physique exercée au titre du maintien de l’ordre, prend ici une toute autre dimension et ancre l’opéra dans la violence de la réalité quotidienne. Ces raisons justifient les options de Peter Konwitschny, qui par cette mise en scène agrandit la pièce. Si mystificateur il y a eu c’est bien plutôt Friedrich von Schiller qui n’a pas respecté le moins du monde la réalité historique. Malheureusement, les attitudes et les gestes de ses personnages son restés gravés dans les mémoires, sa pièce de théâtre faisant fonction de vrai livre d’histoire.

Lors de la représentation du 2 février il faut d’abord souligner la qualité des solistes. Adriane Pieczonka – Elisabeth – et Sonia Ganassi –Eboli – ont montré une solidité et un lyrisme rares, et leur dialogue à la fin du premier tableau du 4° acte a frôlé la perfection. Franco Farina en Don Carlos a déçu le jour de la première, mais il s’est largement racheté depuis, et malgré une projection quelque peu forcée il a rendu son rôle crédible. Giacomo Prestia, voix et silhouette somptueuses a été un Roi imposant ; son soliloque et le dialogue avec le Grand Inquisiteur - Eric Halfvarson - ont été justement appréciés. Mais c’est bien l’espagnol Carlos Alvarez –Posa – qui remporta le plus beau succès de la soirée, sans que l’on puisse pour autant taxer le public de chauvinisme. La scène de sa mort, empreinte de sensibilité, montra à quel point la musique de l’Italien est en parfaite harmonie avec la phonétique française. Ce soir là Maurizio Benini a officié depuis la fosse en vrai maître de la nuit.

« Don Carlos », opéra en cinq actes, livret de Joseph Méry et Camille du Locle fondé sur le poème dramatique de Friedrich von Schiller « Don Carlos, Infant von Spanien ». Coproduction du Gran Teatre del Liceu et du Wiener Staatoper. Mise en scène de Peter Konwitschny. Décors et costumes de Johannes Leiacker. Direction musicale de Maurizio Benini. Chanteurs : Giacomo Prestia, Franco Farina, Carlos Alvarez, Adriane Pieczonka, Sonia Ganassi, Eric Halfvarson, Dan Paul Dimitriescu, et autres. Gran Teatre del Liceu les 27 et30 janvier et 2, 5, 8, 11, 14 février 2007
Copyright photos Antonio Bofill

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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1 Message

  • “Don Carlos” de Giuseppe Verdi 16 février 2007 18:43, par Antoine

    Je trouve l’analyse de M. Estapa tout à fait pertinente et l’éclairage historique extrêment justifié. Un très beau travail de critique. Merci et bravo pour ce magnifique article !!

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