Dans ce jardin qu’on aimait de Marie Vialle

L’écoute des bruits de la nature comme présence au monde

Dans ce jardin qu'on aimait de Marie Vialle

Dans la seconde moitié du XX è siècle, un pasteur musicien perd sa femme en couches. Il se réfugie dans le deuil, se plaît à noter les bruits du monde, chants d’oiseaux et sons de la pluie. Il rejette sa fille Rosamund dont la ressemblance avec sa mère défunte lui devient insupportable.

Adaptant le récit de Pascal Quignard, Dans ce jardin qu’on aimait, la metteuse en scène et comédienne Marie Vialle invite le public dans un univers sonore où la solitude permet une écoute absolue du monde : le souvenir de l’être aimé est une manifestation entre cruauté et bonheur.

Inspiré de la vie du compositeur américain Simeon Pease Cheney, interprété par Yann Boudaud, ce spectacle déploie un espace épuré où les chants d’oiseaux éveillent à la conscience de l’infini. Marie Vialle interprète la fille devenue jeune femme, telle que sa mère l’était à sa disparition.
Pendant vingt ans, le pasteur entretient le jardin de son épouse en son souvenir. Quand Rosemund atteint l’âge de sa mère à sa mort, la ressemblance avec la défunte et une même beauté significative font qu’elle est chassée par son père de ce refuge poétique et affectif originel.

Se retrouvant seul, le pasteur note tous les sons d’oiseaux qu’il entend venir pépier dans le jardin. A sa mort, Rosamund publie à compte d’auteur le livre de son père Wood Notes Wild : Notes de la musique sauvage et fait ainsi découvrir son oeuvre.

L’adaptation de Pascal Quignard et de Marie Vialle contient les récits d’écoute et les partitions d’oiseaux extraits de l’auteur originel, interprétés par la fille tout au long de la pièce. Belle expérience de la solitude, plénitude d’une disponibilité, d’une ouverture et d’une attention portée au monde : une écoute extrême est dévolue aux sons, à l’observation innocente des oiseaux, de la nature vivante et active, des saisons, des heures, des brins d’herbe, des gouttes d’eau, du monde.

« L’artiste n’est pas au centre de la création, mais se retire au plus loin, au plus profond de sa solitude pour laisser le monde irradier, éclater de toute sa splendeur, de toute son intensité. Un mouvement d’humilité et de radicalité », commente la conceptrice.

Si le père pasteur en son presbytère demeure dans le temps fixe et immobile du deuil, du jardin clos, et de l’écoute, sa fille est en mouvement et traverse le temps - le présent de l’adresse et le « flottant » de la fiction - et les espaces, faisant des allers-retours entre le monde et le jardin clos.

Rosemund, rejetée par le veuf, traversant ses chemins de résistance, apporte au monde l’oeuvre de son père. Prise par cette obsession, raconte encore la metteuse en scène, la tâche de faire connaître à tout prix la musique paternelle, la jeune femme se réinvente, chante, devenant oiseau.

Enfin, le père et la fille dépassent la violence initiale de leur rapport et parviennent à faire oeuvre commune. Echanges verbaux, langage musical, partition des oiseaux et résonance amoureuse. Même l’eau d’un robinet ou bien de la pluie qui chute dans un seau métallique a sa musique.

Marie Vialle, à travers l’écriture de Pascal Quignard, déroule un fil d’émotions à l’écoute de la littérature, de l’amour des mots et de la prose poétique, le parcours d’êtres solitaires dévoués à créer.

Au Cloître des Célestins, dans le bruit évocateur des cigales et d’un mistral remonté, sous le couvert des deux platanes, la musique « physique » et existentielle du monde offre son concert inédit. La poésie de la nature - l’égrainement des sensations auditives mais aussi visuelles et tactiles quand on s’attache à la contemplation d’un paysage, d’un jardin, d’une terre auprès de soi - demeure infinie et inaccessible en tant que telle, si ce n’est dans ses connotations.

Délicatesse et légèreté, ode à la vie et découverte incessante de ce que vivre et sentir veut dire, le duo d’interprètes accomplit son pas de deux - danse, musique, déclamation - avec un art achevé.

A la fin, après que la cornemuse de Yann Boudaud ait résonné de sa puissance impressionnante dans le cloître de pierres, reste le silence intérieur d’une musique rare, celle d’un concert poétique.

Dans ce jardin qu’on aimait, texte de Pascal Quignard (édit. Grasset), adaptation David Tuaillon, Marie Vialle, conception et mise en scène Marie Vialle, scénographie et costumes Yvett Rotscheid, son Nicolas Barillot, lumière Joël Hourbeigt, travail vocal et musical Dalila Khatir. Avec Yann Boudaud, Marie Vialle. Les 9, 10, 11, 13, 14, 15 et 16 juillet 2022 à 22h au Cloître des Célestins à Avignon.
Crédit photo : My Meteo

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Véronique Hotte

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