Paris - Théâtre du Châtelet

Carmen de Georges Bizet

Carmen Cul

Carmen de Georges Bizet

Il y avait Carmen Cru, l’hilarante bande dessinée de Lelong chez Fluide Glacial, on parlera désormais de Carmen Cul pour qualifier les détournements de sens de cette production importée de Berlin où la mort, le sexe et la guerre se substituent à l’amour et à la liberté. Les premières critiques publiées avaient été avaient été plutôt assassines. Au Châtelet pourtant les salles sont combles jusqu’au dernier strapontin du dernier balcon. Carmen, chouchou de tous les publics est l’opéra le plus joué au monde. A peine annoncé, il affiche complet. Le chef d’œuvre d’un Bizet qui n’en connut jamais la gloire dont les airs se fredonnent comme des chansons des rues agit comme un aimant.

Mais ces fans venus entendre « La fleur que tu m’avais jetée » et autre « Toréador », ne sont pas dupes pour autant. En témoignaient, les commentaires perplexes à l’entracte et après le baisser de rideau. Le spectacle auquel il venait d’assister ressemblait autant à leur Carmencita chérie qu’un bouquet de roses à une poubelle.

On lui trouvera pour circonstance atténuante la nécessité du Châtelet de trouver une alternative de dernière minute à la production de Sandrine Anglade initialement pressentie puis annulée in extremis pour cause officielle de « complication et coût exorbitant des décors ». Le choix se porta vite fait sur une mise en scène de Martin Kusej signée en 2004 au Staatsoper Unter den Linden de Berlin. Avec son habituel cortège d’obsessions à l’allemande qui consistent à transposer à peu près tout et n’importe quoi dans les ruines d’un paysage de post deuxième guerre mondiale. Exit donc l’Espagne des toréadors et des contrebandiers, les décors font défiler dans l’ordre : le plan en coupe d’un bunker éventré, la carcasse d’une église, une sorte de mirador ou de roue à eau en lieu et place de l’auberge de Zunica où les personnages s’ébrouent et s’éclaboussent en trépignant enfin un no man’s land blafard où les chœurs lâchés comme des insectes galopent dans tous les sens . Au-delà du trafic des lieux, celui des personnages : la fabrique de cigares étant devenue un lupanar, ses ouvrières en deviennent les pensionnaires en slips et porte-jarretelles variés – on se croirait à un défilé de sous-vêtements pour supermarchés discount - et les soldats de la garnison ne se contentent pas de les lutiner, ils les enfilent par devant, par derrière et se font faire des gâteries intimes. En guise de supplément gratuit, Micaëla se fait violer et est tuée d’une balle perdue tirée par Don José en dépression nerveuse. Un sort que ni Mérimée, ni Bizet n’avait pas osé lui faire.

Le propos de Kusej est d’une cohérence implacable, avec lui tout se passe sous la ceinture et Carmen devient le cimetière de toutes les illusions, de tous les espoirs. De bout en bout, la violenec et la mort rôdent. D’ailleurs tout le monde crève, Escamillo par les cornes du taureau et Don José par un peloton d’exécution. Pour échapper à l’espagnolade tant redoutée des metteurs en scène on peut imaginer parti pris moins morbide…

Pour l’oreille, heureusement, tout va bien : Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre-Grenoble ont trouvé l’exacte démesure de cette musique aux pulsions charnelles, ses teintes sanguines, ses halètements et sa profonde mélancolie si bien exprimée par les solos de flûte et de clarinette. Les voix sont honnêtes même si elles ne sont guère exceptionnelles : Sylvie Brunet dans le rôle titre a plus de coffre que de panache, un timbre de mezzo aux couleurs vibrantes mais davantage l’allure d’une grande sœur capricieuse que d’une femme fatale éprise de liberté, comme peut l’être la sensuelle Béatrice Uria-Monzon. Le baryton néo-zélandais Teddy Rahu Rhodes campe un Escamillo plutôt aristocrate avec des graves bien balancés mais une diction approximative. Tout à l’opposé du Don José de l’autrichien Nikolaï Schukoff, replié sur sa malédiction de mal aimé, mais dont on comprend chaque syllabe et dont la projection à défaut d’être émouvante ou héroïque passe bien la rampe. Le plaisir réside dans les seconds rôles féminins, la délicieuse Frasquita de Gaële le Roi, agile et mutine et surtout Genia Kühmeier, soprano délicate aux aigus lumineux et au jeu habité qui réussit à faire de Micaëla la triomphatrice de la soirée

Carmen de Georges Bizet, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après la nouvelle de Prosper Mérimée. Production du Staatsoper Unter den Linden de Berlin. Orchestre et chœurs des Musiciens du Louvre-Grenoble, direction Marc Minkowski. Chœur d’enfant Sotto Voce et de la Maîtrise de Paris. Avec Sylvie Brunet, Nikolai Schukoff, Genia Kühmeier, Teddu Tahu Rhodes, Gaële Le Roi, Nora Sourouzian, Alain Gabriel, François Piolino, Boris Grappe, François Lis, Micky Dedaj.
Théâtre du Châtelet, les 10, 12, 15, 17, 22, 26 & 28 mai à 19h30, le 20 à 16h – 01 40 28 28 40

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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