BUCAREST : 19ème EDITION DU FESTIVAL ET DU CONCOURS GEORGE ENESCO

UN CRU DE CLASSE

BUCAREST : 19ème EDITION DU FESTIVAL ET DU CONCOURS GEORGE ENESCO

Tous les deux ans à l’orée de septembre, Bucarest se met en fête musicale pour célébrer son enfant prodige, le compositeur George Enescu (1881-1955) dont le portrait, durant quatre semaines, flotte par-dessus les carrefours et les bâtiments publics.

Orchestres et chefs d’orchestre de tout premier plan, étoiles du violon, du piano, divas de l’art lyrique : tout le gotha du monde musical classique et contemporain défile depuis 1958 sur les scènes de concert et d’opéras de Bucarest au cours de ce festival dédié au génie musical d’Enescu. En français, il est généralement orthographié Enesco - comme son compatriote Eugène Ionescu devenu à jamais Ionesco, père légendaire d’une certaine Cantatrice chauve et de quelques autres fleurons du théâtre de l’absurde. Comme Ionesco d’ailleurs Enesco fit de Paris sa deuxième patrie, où il vécut longtemps, où il mourut et où il repose au cimetière du Père Lachaise.

Assorti d’un concours pour piano, violon et composition, le festival initialement prévu tous les trois ans - devenu biennal depuis 2001 - connut forcément durant le régime de Ceausescu quelques pannes, mais depuis la chute du dictateur il y a 20 ans, il a repris son rythme de croisière durant ces semaines remplies à ras bord d’événements conjugués en musique.

De Toulouse à Bucarest, l’envol sur une coproduction franco-roumaine.

La 19ème édition commencée le 30 août dernier a pris son envol sur une coproduction franco-roumaine avec la représentation d’ Œdipe, l’unique opéra d’Enesco créé à Paris au Palais Garnier en 1936, dans la version que Nicolas Joël avait présentée il y a un an au Capitole de Toulouse (voir webthea du 14 octobre 2008). Les changements d’orchestre et de distribution n’ôtèrent en rien la force et la générosité d’une œuvre majeure trop longtemps négligée. Oleg Caetani, à la tête de l’Orchestre National de l’Opéra de Bucarest succéda avec brio et intensité à Pinchas Steinberg.

Après quelques instants de flottement au premier acte, les chœurs prirent l’élan irrépressible que leur insuffla Stelan Olariu. Le rôle titre enlevé le soir de la première par Franck Ferrari comme à Toulouse, lui valut une ovation, le baryton Stefan Ignat qui assura la deuxième représentation, obtint le même triomphe par la splendeur de son timbre et la force de son jeu. Le public roumain s’enthousiasma sans réserve pour la sobriété de la mise en scène de Nicolas Joël « qui laisse parler la musique », la simplicité couleur muraille des décors d’Ezio Frigerio. Un seul regret pour les francophones : une diction hasardeuse qui sacrifiait la beauté du texte d’Edmond Fleg.

Toujours au rayon des opéras Otello de Verdi succomba au jeu de massacre d’une mise en scène, de décors et costumes sans queue ni tête (on y passe d’une sorte de cabine de sous-marin truffé d’écrans à des espaces et costumes grand siècle), un Otello (le ténor américain Franco Farina) parfois à la limite du bout de souffle, une Desdémone (Carmen Gurban) charmante mais aux aigus incertains. La vaillance du chef Miguel-Gomez Martinez et la belle prestance du Iago d’Alberto Cazale sauvèrent de justesse la mise.

La musique seule, reine du festival.

Au-delà de l’opéra c’est la musique seule, orchestrale, symphonique, vocale ou autre, qui est la reine de ce festival. Des récitals souvent donnés le matin dans la petite salle du Palais accolée au musée des Beaux-Arts permettent à de jeunes solistes de faire entendre leurs instruments : ainsi la violoncelliste belge Marie Hallynck et le pianiste français Cédric Tiberghien formèrent un duo parfait pour allier doigté et cœur dans la sonate pour violoncelle et piano en ré mineur de Debussy, dans celle en do majeur opus 65 de Benjamin Britten, et, compositeur obligé, dans la numéro 2 en do majeur opus 26 d’Enesco. Frederik Ullen, pianiste suédois fit preuve d’une technique parfaite, froide et efficace dans un choix d’œuvres de Stockhausen, Ligeti, Messiaen, Xenakis.

Musiques de répertoire, comme les admirables Vêpres opus 37 de Rachmaninov chantées par les Chœurs Académiques de la Radio de Bucarest, portées quasiment en ferveur par leur chef Dan Mihai Goia et une sorte d’installation de liturgie orthodoxe avec prêtre, encens, carillon émis par des cloches tubulaires et soutenue par les saccades de percussions sur bois.

Musiques nouvelles en clé de voûte.

Musiques nouvelles surtout qui constituent de fait la clé de voûte du festival avec une part très large attribuée aux compositeurs roumains contemporains, tels Sigismund Toduta , son concerto pour orchestre à cordes, Mihai Mitrea Celarianu son concerto pour orchestre, ténor et baryton qui se font récitants de textes en v.o, de Dante et de Goethe, Theodor Grigoriu son concerto Trinity pour violon et orchestre, ou encore Calin Ioachimescu son concerto pour orchestre et saxophone avec l’ébouriffant saxophoniste Daniel Kientzy capable de souffler simultanément dans plusieurs saxos à la fois, chose que même Adolphe Sax de Dinant sur Meuse en Belgique, inventeur de l’instrument et de ses variantes n’avait certes pas imaginé. L’orchestre philharmonique « Transilvania » de Cluj et son chef Sacha Goetzel en furent les fervents serviteurs.

Plus récentes encore, émanant de compositeurs présents aux exécutions de leurs œuvres, tels Tiberiu Olah, Dan Voculescu, Costin Mireanu ou Dan Dediu et son ensemble Profil.

Finales du concours George Enesco : l’événement attendu.

Mais l’événement le plus attendu de la première semaine du festival reste incontestablement les finales du Concours George Enesco où se succédèrent les élus des sections piano, violon et composition. Dans la salle ronde ornementée du sol au plafond de l’Atheneum, monument un rien baroque conçu à la fin du 19ème siècle par un architecte français qui y laissa des fleurs de lys sculptées en guise de signature.

La cérémonie de clôture procéda à la remise des trois premiers prix par section dans une atmosphère un peu brouillon, un peu désordre, mais tout à fait bon enfant et chaleureuse. Furent couronnés : en section piano et dans l’ordre décroissant : le Coréen An Jong Do, la Russe Violeta Khachikyan et Amir Tebenikhin du Kazakhstan, respectivement troisième, deuxième et premier prix. Les prix de violon furent attribués, dans le même ordre à Nadezda Palitsyna (Russie), Shin A-Rah (Corée) et Jaroslaw Nadrzycki (Pologne). Les prix de composition furent attribués au Chinois Qian Shen-Ying pour la musique de chambre et à Lam-Lan-Chee de Hong-Kong pour la musique symphonique.

Pour le concert de gala, c’est le premier prix de composition 2007 Sound of Meditation du jeune Chinois Hu Xiao-Ou qui fut interprété par l’orchestre Transilvania de Cluj sous la direction de Florin Totan, une œuvre singulière, d’une grande intensité dramatique qui met à contribution vocale les instrumentistes invités à ponctuer leur jeu d’étranges martèlements syllabiques.

Pour le piano et le violon ce furent les premiers prix qui furent invités à défendre les morceaux primés par le jury : dans le concerto pour piano et orchestre opus 30 de Rachmaninov, Amir Tebenikhin fit l’éblouissante démonstration d’une technique virtuose en diable, à laquelle il manquait sans doute, ce petit grain de folie, voire d’imperfection, qui fait l’âme d’une interprétation hors norme. Ce supplément de cœur, Jaroslaw Nadrzycki, 24 ans, une allure d’ado tout juste pubère, le possède à 100%, et, dans le magnifique concerto pour violon et orchestre opus 47 de Sibelius, son coup d’archet remua et les sens et les sentiments.

Les Arts Florissants de William Christie, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, le Royal Philharmonique de Londres et celui de Saint Petersburg, l’Orchestre de Chambre de Lausanne, celui du Mai Florentin et celui de Vienne, le Concertgebouw d’Amsterdam, les plus grandes phalanges et les chefs les plus en vue, les solistes stars continuent de jalonner le programme du festival jusqu’au 26 septembre.

Le pont avec la France doublement jeté par Theodor Paleologu, ministre de la culture.

Le pont avec la France fut doublement jeté par le jeune ministre de la culture roumain Theodor Paleologu, francophile et parfaitement francophone qui a spécialement fait une escale à Paris pour remettre à Nicolas Joël et Franck Ferrari, les triomphateurs d’Œdipe, les rubans de commandeur et chevalier du mérite culturel. Et pour inaugurer, dans les salons cossus du Musée Jacquemart-André, l’exposition des Maîtres de l’Ecole Flamande et Italienne (Memling, Van Eyck, Jordaens, Titien etc…), une cinquantaine de trésors issus de la collection Brukenthal de Sibiu, dans le sud de la Transylvanie. L’occasion de découvrir la vie de ce collectionneur acharné du 18ième siècle, ami intime de l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche que le ministre Paleologu qui a de l’humour qualifie presque affectueusement de « Rastignac » de génie.

www.festivalenescu.ro

Musée Jacquemart-André du 11 septembre 2009 au 11 janvier 2010, tous les jours de 10 à 18h. – + 33 (0)1 45 62 11 59

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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